21 mars 2014

Lèse-Blaise : (4) Fin de Cycle

Le succès des premières Allumées a valu à Jean Blaise le Lieu Unique et toute la suite. Jean-Marc Ayrault est ainsi fait : il lui faut beaucoup de temps pour prendre de grandes décisions, mais une fois qu’il les a prises, il s’y cramponne désespérément, même quand elles sont mauvaises. Largement due à Jean Blaise, l’extinction prématurée de la dernière des Allumées aurait dû engendrer quelque sanction. Pourtant, comme écrivait Libération un peu plus tard, « trop de monde était associé à l'opération, le maire de la ville en tête, pour qu'on cherche un bouc émissaire ».

Nantes parle encore des Allumées, mais qui se souvient de Trafics et de Fin de Siècle, les festivals qui ont immédiatement suivi, de 1996 à 2000 ? Dirigés par Jean Blaise, tous deux ont été des échecs cuisants : peu de spectateurs, des déficits abyssaux. Fin de Siècle, surtout, qui devait refaire Les Allumées en mieux, s’est lamentablement crashé. Les débris ont été camouflés sous le tapis : autant il est facile aujourd’hui de trouver des informations sur Les Allumées, autant Trafics et Fin de Siècle sont rarement évoqués.

Ce bienveillant oubli s’étend au-delà de Nantes. « Inaugurée en 2002, la première Nuit Blanche est confiée à Jean Blaise, créateur du festival ‘Les Allumées’ de Nantes » spécifie le site web officiel de la mairie de Paris. Or la création des Allumées date alors d’une douzaine d’années, et la fin piteuse de Fin de Siècle de deux ans seulement ! Et la Nuit Blanche n’est même pas inspirée des Allumées mais de manifestations organisées les années précédentes à Helsinki, Berlin et Saint-Pétersbourg. Jean Blaise était parti pour refaire une nuit blanche chaque année, mais il se brouille avec Paris, pour des questions d’argent semble-t-il. Il ne reviendra qu’une seconde et dernière fois pour la Nuit Blanche 2005. La Nuit Blanche est néanmoins citée comme son deuxième fait d’armes le plus significatif…

Après le désastre de Fin de Siècle, Jean Blaise fait profil bas à Nantes pendant quelques années, puis lance la biennale Estuaire, qui devait avoir trois éditions : 2007, 2009 et 2011. Mettre en valeur l’estuaire de la Loire : l’idée est sympathique. Mais Jean Blaise, apparemment, n’a pas pris la mesure de ce site gigantesque. Estuaire est un saupoudrage coûteux que des bricolages (le jardin étoilé de Paimbœuf…) et de simples gags (la maison dans la Loire de Lavau…) tirent vers le bas. Qui plus est, un montage financier foireux lui vaut les remontrances de la Chambre régionale des comptes. Comme pour Les Allumées et Fin de siècle, Jean Blaise a du mal à terminer le boulot : retardée d’un an, la dernière biennale disparaît presque complètement derrière le premier Voyage à Nantes.

Du Voyage à Nantes, inutile de parler longuement : on l’a déjà fait dans ce blog. Une chose est certaine : si les communiqués de victoire multipliés en 2012 et 2013 ont d’abord été pris pour argent comptant, presque tout le monde admet aujourd’hui que les résultats n’ont pas été à la hauteur des budgets investis. Est-ce le recul du temps, ou plutôt l’éloignement de Jean-Marc Ayrault ? Voyez comme la vie politique est cruelle : il a suffi que Patrick Rimbert et Johanna Rolland manifestent, en creux, leur scepticisme, pour que soudain les yeux s’ouvrent et les langues se délient : eh ! bien non, dans le fond, notre génie local n’était pas si génial que ça…

11 commentaires:

  1. Ouf. Il était temps que cette fin de cycle arrive...Il a quand même fait de la com', c'est sûr. Le reste : peu mieux faire... En tout cas une fois parti, les stagiaires pourront bosser tranquillement :)

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  2. On se réjouit de voir Sven Jelure faire mieux, entre carnaval-fête à neu neu, fest noz et concerts de Elmer Food Beat...

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  3. Votre point de vue, ne vaut pas analyse. Que vous ne soyez pas un spectateur pour le type d'événements montés par Jean Blaise, me semble bien insuffisant. Vos remarques portent sur les aspects financiers, certainement critiquables, mais les programmations de Trafics et de Fin de siècle ont permis de belles découvertes (Cuisines et performances, Johannesburg, New York) dans une ambiance détendue et conviviale. Autant de manifestations dont les usages des anciennes usines LU ont permis d'établir les plans définitifs du Lieu Unique tel que nous le connaissons.
    Le projet politico-culturel de Jean Blaise à Nantes témoigne d'une approche de la culture au service du politique plus riche que les aspects financiers. La notoriété de Nantes, en termes de communication, doit beaucoup, à son action.
    L'expert-comptable que vous êtes devrait établir une balance financière entre les sommes engagées et la valorisation des retombées de presse. Ceci pourrait ne pas corroborer vos analyses financières. Quant aux contenus, je crains qu’ils ne soient d’une nature qui échappe à votre champ culturel.
    Que le contribuable soit concerné par l’argent ne suffit pas à condamner tout ce qui n’est pas rentable au plan strictement financier. Il existe d’autres rentabilités moins vénales mais plus enrichissantes… pour l’esprit.

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  4. Mon point de vue n'est que mon point de vue, bien sûr (mais c'est déjà pas si mal). Permettez-moi de vous renvoyer la balle : que vous ayez personnellement apprécié la programmation des festivals organisés par Jean Blaise ne suffit pas à en tirer un bilan plus définitif !
    Je ne me suis pas trop avancé sur le plan des contenus, car c'est affaire de goût individuel. En revanche, l'aspect financier ne peut être ignoré, car il fait partie intégrante des postes confiés à Jean Blaise. Et cet aspect peut être apprécié de manière purement objective. Jean Blaise a été chargé d'une responsabilité d'organisateur et nanti d'importants budgets publics. Or la marge d'incertitude financière d'une manifestation est inversement proportionnelle à l'importance des subventions reçues : quand le financement d'une manifestation est en grande partie public, on sait assez précisément ce qu'on peut dépenser. Un déficit signale une mauvaise organisation et/ou une très mauvaise appréciation du potentiel. Sur ce plan, Jean Blaise s'est trompé de manière répétée. Il a s'est montré professionnellement insuffisant soit comme organisateur, soit comme programmateur. On pourrait voir cela aussi comme une marque d'irrespect envers la collectivité : "Vous me confiez 100 € ? Je vous en prends 150 !"
    L'argument de la valeur financière des retombées de presse est souvent utilisé comme une dernière cartouche. Mais il n'est pas valable. Les retombées sont intégrées a priori dans les subventions accordées. Quand le conseil municipal ou communautaire est invité à voter une subvention, le dossier signale toujours ces retombées.
    Quant à "la notoriété de Nantes, en termes de communication", il est certain qu'elle doit beaucoup aux opérations organisées par Jean Blaise, qui n'a jamais négligé son service de presse et a largement bénéficié des gros moyens municipaux (quoique... cherchez "Trafics" et "Fin de Siècle" sur le web, vous serez étonné de trouver si peu d'occurrences). Ce n'est d'ailleurs pas propre à Jean Blaise : avec les mêmes moyens, n'importe qui d'autre aurait sans doute obtenu des retombées analogues. Je dirais même plus : un bon communicant, capable d'établir une stratégie de communication à long terme, aurait probablement obtenu de meilleures retombées.
    Je m'explique. Le bilan de Jean Blaise en termes d'image reste à faire. Quantitativement, il peut présenter un dossier de presse fourni. Qualitativement, l'effet est très incertain : à quoi sert-il que le nom de Nantes soit (un peu) connu à Pétaouchnok pour... pour quoi au fait ? Oui, c'est une ville où l'on fait des trucs. Quels trucs ? Ah ! des spectacles... En fait, mais encore une fois l'étude reste à faire, je soupçonne que les retombées de presse ont surtout porté sur les Nantais eux-mêmes et je ne suis pas sûr qu'elles leur ait apporté un message très opportun.

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  5. Trafics, Fin de Siècle... J'en apprends!
    Bon, je ne vivais pas à Nantes à l'époque. Entre Rennes et Bordeaux, donc pas si loin quand même. Surtout que j'y retournais régulièrement.
    C'était peut-être très bien.
    La communication a été totalement inefficace sur moi et mon entourage de l'époque.
    Je ne prétends pas être la coeur de cible, encore moins un prescripteur, mais chauvin comme j'étais à l'époque, je ne manquais pas de la ramener sur Nantes (encore une des rares villes à tramway et un grand club de foot).
    Comme je l'ai fait en 2002(3?) à apprendre aux Bordelais, connaissant pourtant Royal de Luxe qui venait les visiter, que c'était une troupe nantaise.

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  6. Dans les années 70 à Bordeaux, le Sygma de Roger Laporte ouvrait de vastes perspectives sur l'expression contemporaine, ensuite Jean-Louis Froment et le CAPC portaient haut la renommée de Bordeaux sur la scène des arts plastiques. Ensuite Chaban disparu, Bordeaux n'a plus trouvé d'homme providentiel sous l'ère Juppé. Et Bordeaux en s'en désole, malgré la notoriété de son vignoble et les charmes du Bassin. Autre exemple, Grenoble a connu un épisode culturel, c'était au moment de la création de sa Maison de la Culture, récemment Marseille a réussi à acquérir une notoriété culturelle dont elle devra assurer la pérennité. Lille a su faire fructifier son aura culturelle comme Nantes, chacune grâce à l'engagement d'un leader culturel. Rennes détient des atouts moins touristico-culturels malgré une scène artistique bien mieux ancrée dans son tissu urbain.

    Vous n'ignorez pas qu'aujourd'hui l'action culturelle constitue un élément décisif de l'attractivité pour les cadres d'entreprise à forte valeur ajoutée. Effet de mode probablement, mais impact économique assuré.

    On peut certainement développer des arguments semblables avec le sport, que vous n'évoquez pas. Un autre facteur d'attractivité, dont les succès génèrent des sommes autrement plus conséquentes et les défaites en augmentent le coût de manière substantielle.

    Je persiste, pour tenter d'ouvrir vos argumentaires à d'autres éléments que ceux de la finance publique. Le contribuable ne se résume pas uniquement à un tableau excel ou une calculette. Quant à l'objectivité que vous revendiquez pour les finances, j'espère que vous plaisantez.

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  7. merci de lire Roger Lafosse et non Laporte... et le festival se nommait Sigma (1965-1996) et non pas Sygma comme écrit par erreur.

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  8. merci de lire Roger Lafosse et non Laporte... et le festival se nommait Sigma (1965-1996) et non pas Sygma comme écrit par erreur.

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  9. Mais, Leblanchet, je ne conteste pas l'intérêt de la culture (je prétends être moi-même raisonnablement cultivé, et puisque vous me faites l'honneur de lire ce blog, je suis convaincu que vous me croirez sur parole). Je ne conteste même pas qu'il soit économiquement utile d'avoir une image culturelle.

    Je conteste en revanche qu'il appartienne à une commune (et pourquoi pas à l'Etat, tant qu'on y est ?) de dicter leur culture à ses habitants, surtout quand ses élus ont ouvertement affirmé leur intention de faire de la culture un instrument de contrôle idéologique (dire aux citoyens, à leurs frais, ce qu'ils doivent penser, cela pose quand même un problème de légitimité démocratique, non ?).

    Surtout, je conteste le choix des hommes, ou plutôt de l'homme. Jean Blaise a fait des choses tout simplement parce qu'il a disposé de moyens financiers colossaux, mais tout ce qu'il a fait après Les Allumées a été plus ou moins foireux. Et je ne suis pas seul à parler d'argent : les tendeurs de sébile au nom de la culture se sont multipliés. On a pu avoir l'impression qu'à Nantes tout et n'importe quoi était "culturel" pourvu d'avoir l'aval de Jean Blaise et l'argent de la ville.

    Vous désirez d'autres éléments que ceux de la finance publique ? Je me répète, je préfère ne pas trop m'avancer sur le terrain de la programmation. Non seulement j'y suis moins à l'aise mais je considère que c'est affaire de goût individuel, je ne pourrais dire que "j'aime" ou "je n'aime pas". Mais voici quand même un élément hors finance. L'art, par définition, suppose une habileté technique qui s'acquiert par le travail -- 1 % d'inspiration, 99 % d'inspiration, selon une formule fameuse. Estuaire et Le Voyage à Nantes n'ont pas mis en valeur cette exigence : une partie non négligeable des oeuvres présentées étaient des bricolages d'amateurs qui sont partis en botte à la première occasion. On a pu avoir l'impression que la culture à Nantes, c'est 1 % d'inspiration et 99 % de subvention ! Aïe, nolens volens me voilà revenu aux finances.

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  10. En Avignon, Olivier PY menace de partir si le FN passe au second tour des Municipales ; à Rennes, le directeur du TNB ameute ses abonnés via un appel au vote partisan (invitant par là-même des recours en illégitimité du scrutin) ; à Nantes, Pierre OREFICE menace, tonne et tempête contre les futures élues qui, toutes tendances confondues, mettent la pédale douce sur son projet d'arbre « aux hérons » ...

    L'encens des critiques et l'opium des subventions sont-ils montés à la tête de ces grandes figures de la « kultur » ?

    Au moins, notre bon Blaise — objet ici de tant de lazzi — a-t-il eu la pudeur (et la prudence) de ne pas jeter son (petit) poids dans la balance de nos Municipales ...

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  11. Jean-Marc, vous me paraissez très optimiste ! Je me suis laissé dire que la pudeur et/ou la prudence de Jean Blaise tient surtout à ce qu'on lui a demandé en haut lieu de faire profil bas pendant la campagne. On ne le considère plus, semble-t-il, comme un atout électoral...

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