27 décembre 2014

La triste réalité municipale du spectacle vivant à Nantes

Est-ce par indulgence envers la municipalité nantaise que la Chambre régionale des comptes a choisi le dernier vendredi avant les fêtes pour rendre public son rapport d’observations définitives sur la gestion du spectacle vivant par la Ville de Nantes ? Les comptes rendus de la presse ont été rares et succincts. Sur ce document de plus de cinquante pages qui aurait dû faire scandale, on a vite jeté le manteau de Noë(l) : ce n’est pas autour de la dinde qu’on va traiter de sujets qui fâchent, tout de même !

Le commentaire le plus critique – tout est relatif ‑ est probablement celui de Benoît Balthy sur Télénantes : c’est à saluer puisque la télévision locale vit à 80 % de subventions publiques. Mais le journaliste a pris soin de laisser largement la parole aux personnes implicitement incriminées par la Chambre régionale des comptes, en particulier à Jean-Louis Jossic, ex-adjoint à la culture, pour qui non, non tout est normal, qu’alliez-vous donc penser là ? et à Jean-Paul Davois, directeur général d’Angers Nantes Opéra, qui s’indigne : « la Chambre régionale des comptes n’a pas à prendre de position politique, elle sort de son rôle et je trouve ça très inquiétant » (une déclaration qui ne manque pas de sel quand on se rappelle les conditions de désignation de l’intéressé).

Que dit ce rapport ? D’abord que les dépenses culturelles de Nantes, globalement dans la moyenne des grandes villes, sont très concentrées sur quelques bénéficiaires en ce qui concerne les subventions au « spectacle vivant » : « En 2012, la moitié des subventions était versée à quatre structures, les trois quarts à neuf et 90 % à 23. » Angers Nantes Opéra, leur destinataire n°1 est bien sûr dans le collimateur. Mais la Chambre distribue les mauvais points tous azimuts : « les relations contractuelles avec un certain nombre d’associations posent question quant au respect des règles européennes concernant les aides d’État, à l’évolution non maîtrisée des subventions ou à la situation monopolistique dans certaines disciplines ». Lire La Folle Journée pour l’oubli des règles, Stéréolux et Trempolino pour le dérapage des budgets, Royal de Luxe pour le monopole.

Le roi ne partage pas son luxe avec les manants

Royal de Luxe, tiens, justement. La Méforme d’une ville a naguère souligné le coût invraisemblable de ses spectacles pour les Nantais. La Chambre s’étonne des sommes en jeu, qui permettent à la troupe de vivre très confortablement (« son modèle économique est en total décalage par rapport aux normes de la discipline »), mais signale surtout un paradoxe étonnant : les arts de la rue, discipline la plus fréquentée au plan national (« 34 % des Français ont assisté à un spectacle au cours d’une année »), sont peu présents à Nantes. En effet, en raflant toute la mise pour des spectacles épisodiques, Royal de Luxe fait le vide autour de lui. Vous pensiez que Nantes est la ville ou le spectacle de rue est roi ? Au contraire, il y est réduit à la portion congrue.

Interrogé par Benoît Balthy, Jean-Louis Jossic défend très mal cette situation. « Royal de Luxe est une compagnie très, très rentable », assure-t-il (on le croit volontiers) « et si quelque chose de novateur apparaît, nous allons y aller ». Mais justement, c’est ce que préconise la Chambre régionale des comptes et dont la municipalité nantaise ne veut surtout pas : mettre en place une procédure d’appel à projets. Alors, des spectacles originaux pourraient se faire connaître, tandis que le monopole actuel de Royal de Luxe aboutit à une répétition en boucle de spectacles de géants inaugurés voici plus de deux décennies. Car, déguisée en grand-mère, en Mexicain, en scaphandrier ou en Père Noël, une marionnette géante est toujours une marionnette géante (c’est même là-dessus que repose l’action judiciaire de Royal de Luxe contre Coca-Cola !).

Faute de temps, on ne va pas passer en revue ici tout le rapport. Qu’il suffise de dire que sur quasiment tous les plans, que ce soient les finances, le contrôle des dossiers, l’implication des structures subventionnées dans la création, les retombées pour les troupes et les artistes nantais, la participation du jeune public, la diversité sociale des spectateurs, la répartition des charges entre Nantes et sa périphérie, etc., la Chambre régionale des comptes décrit une situation à la fois peu rigoureuse et corsetée. Une sorte de répertoire de ce qu’il ne faudrait pas faire !

24 décembre 2014

Pourquoi le Carré Feydeau ne se vend pas

Proudreed, qui cherche à commercialiser les boutiques du Carré Feydeau, se désole de ne voir venir personne, tandis que les commerçants qui voudraient s'y installer se désolent de ne pas trouver le site web de l'entreprise.

C'est trop bête : la société a tout simplement indiqué une mauvaise adresse électronique. Au lieu de www.proudreed.com, elle a affiché un  www.proudeed.com qui ne mène à rien. Pas de quoi en être fière...

22 décembre 2014

Nantes et la Loire (6) : Oublier le dernier quart de siècle

Première contribution au Grand débat sur la Loire

À feuilleter le superbe Nantes de mémoire de peintres* publié ce mois-ci par Philippe Hervouët, un constat s’impose : pour les artistes, la Loire est de très loin l’aspect le plus marquant de la ville. De la couverture du livre (le cours de la Loire depuis la Bourse par Alexis de Broca) à la 4ème de couverture (vue en enfilade du quai Brancas par Alfred Teste), le fleuve est partout. On le voit sur plus de 150 des 252 pages du livre !

Or, pendant les dernières décennies, la Loire semble avoir perdu tout attrait pour nos édiles. La fermeture des chantiers navals en 1987 a évidemment été un choc pour tous les Nantais. Et les plus affectés ont sans doute été les ex-soixante-huitards : ils vivaient encore dans le mythe de la fraternisation entre prolétaires et intellectuels, qui avait paru se réaliser pendant quelques jours de mai 1968, quand les métallos s’étaient brièvement joints aux manifestations étudiantes. Cette blessure mal cicatrisée pourrait bien expliquer la longue incapacité de la municipalité Ayrault à engager la moindre transformation du site des chantiers.

Et quand cette transformation a enfin commencé, elle s’est faite sans grand souci de mettre la Loire en valeur. On a même coupé du fleuve les cales d’où les navires étaient lancés, sauf la plus lointaine. Il a fallu l’activisme d’anciens de la Navale pour que quelques témoignages du passé soient conservés, comme les grues Titan, mais on était là dans le registre de la nostalgie. Le projet Chemetoff prétendait cultiver l’aspect fluvial et maritime de l’île de Nantes, avec même la création d’un port de plaisance : on sait comment cela s’est terminé. Jean-Marc Ayrault, rural angevin, semble s’être trouvé devant la Loire comme une poule qui a trouvé un couteau. Digne successeur des édiles qui ont décidé les comblements, il a vu dans la Loire une source d’embêtements et pas une formidable opportunité.

L'heure de la débâcle est venue !
Côté Loire, son long règne aura été stérile et sans imagination. Les quelques initiatives constatées ne sont jamais venues de lui. Trentemoult boboïsé a obtenu le Navibus, des opérateurs privés ont imaginé le Hangar à bananes et le Nantilus. L’idée de la biennale Estuaire était sympathique, mais elle n’était pas de lui, et l'on se demande d'ailleurs si elle visait à célébrer la Loire ou à la mettre au service de vanités humaines. En tout cas, il n’a pas su l’encadrer, l’eau de la Loire a tourné en eau de boudin.

Pour retrouver la Loire, donc, il faut d'abord tourner solennellement cette page épaisse et terne de notre histoire afin de libérer les esprits. La direction de la communication de Nantes Métropole a su faire du storytelling sur le thème « c’était moins bien avant 1989 ». Elle saura pareillement expliquer que « c’était moins bien avant 2014 ». Ce serait repeindre Jean-Marc Ayrault en bouc émissaire ? Ah ! s’il veut encore être utile à sa ville, c’est désormais le meilleur rôle qu’il puisse jouer. Et depuis son passage à Matignon, il sait faire.
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* Société Nantaise d’Éditions et de Réalisations (philhervouet@wanadoo.fr), 40 euros.

21 décembre 2014

Lobbying pour NDDL (13) : pourquoi se gêner ?

On avait cru le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes déconsidéré par les révélations du Canard enchaîné. Mais les gens oublient vite : la com’ de Vinci Airports a redémarré avec des arguments pas moins spécieux qu’avant. « Nantes Atlantique est saturé avec quatre ans d’avance » titrait Ouest France hier, « Nantes Atlantique arrive à saturation » renchérissait Presse Océan. Tous deux font suite à une déclaration de Nicolas Notebaert, président de Vinci Airports.

Ce dernier est venu à Château-Bougon célébrer un événement, le passage de la barre des 4 millions de passagers par an, niveau annoncé depuis longtemps comme le seuil de saturation de l’aéroport. Nous y sommes, donc l’aéroport est saturé : le syllogisme est imparable. Sauf que, tout le monde le voit bien, l’aéroport N’EST PAS saturé ! « Saturé : qui ne peut contenir plus », dit la définition du Robert. Le jour même où Ouest France et Presse Océan titraient sur la saturation supposée de Nantes Atlantique, Volotea y ouvrait trois nouvelles lignes !

La vraie information n’est pas que Nantes Atlantique est saturé mais que les « experts » qui faisaient rimer 4 millions et saturation se sont trompés. Et pas seulement sur la date (ils annonçaient 2018) mais aussi sur les conséquences. Leurs autres arguments sont-ils plus solides ? Loin de conforter le dossier de Notre-Dame-des-Landes, le passage du cap des 4 millions le fragilise davantage.

Qu’a déclaré en réalité Nicolas Notebaert ? D’abord que Nantes Atlantique franchit 80 jours par an un « seuil de gêne » fixé (par qui ?) à 14.000 passagers par jour. Or…
  1.  Le seuil de gêne, comme son nom l’indique, n’est pas un seuil de saturation. Le concept est emprunté à la circulation routière : il y a « gêne » quand on ne peut pas rouler aussi vite qu’on le voudrait en raison de la présence d’autres automobiles. Ce n’est pas parce qu’on ne peut pas galoper dans ses couloirs que Nantes Atlantique est saturé.
  2. Les véritables gênes sont dues aux queues aux guichets, au contrôle de sécurité ou à la sortie. Elles ne dépendent pas des surfaces disponibles mais du personnel affecté. Construire un nouvel aéroport serait sans effet.
  3. Sauf grève ou intempéries, aucun passager ne reste la journée entière dans l’aéroport. Si les 14.000 passagers sont également répartis sur une journée de 16 heures et que chacun d’eux passe 30 minutes dans l’aéroport (c’est peu pour un départ, beaucoup pour une arrivée), le nombre de personnes présentes simultanément n’est que de 437,5, en comptant celle qui est en train de franchir la porte, pour une aérogare de 6.000 m2.
  4. Bien entendu, l’étalement n’est pas aussi parfait, il y a des moments à Nantes Atlantique où l’on se trouve entouré de plus de gens qu’on ne le souhaiterait. Cette impression ne concerne pas les 14.000 passagers des 80 jours où le « seuil de gêne » est atteint mais seulement ceux qui veulent prendre l’avion aux heures de pointe : quelques milliers tout au plus.
  5. Et ces quelques milliers de passagers ne sont pas gênés tout le temps de leur présence dans l’aéroport mais seulement celui où ils se déplacent dans ses locaux : pas plus de quelques minutes pour ceux qui débarquent.
  6. Or la grande majorité d’entre eux se pressent dans l’aéroport pour avoir (ou après avoir eu) le privilège de se presser davantage encore dans un avion pendant deux ou trois heures de vol.
Des Nantais beaucoup plus nombreux en subissent autant dans le tram ou sur la route du travail. Et pas trois ou quatre fois par an, mais tous les jours, et même deux fois par jour, pendant des durées souvent plus longues. L’aéroport est bien le seul endroit qu’on prétend aménager afin que tout le monde y ait toutes ses aises à tout moment. Autant réclamer le passage du périph’ à 2x8 voies et le triplement des rails de tramway !

« Pour la première fois en 2014, on a dû refuser à certaines compagnies aériennes d’opérer des vols le samedi ou le dimanche en été puisqu’on utilisait tous les créneaux disponibles », a aussi déclaré Nicolas Notebaert (la vidéo est disponible sur le site de Presse Océan). Ce qui signifie corrélativement qu’il reste des créneaux disponibles au moins 340 jours par an. Et qu’on voudrait construire un nouvel aéroport pour permettre à quelques centaines de vacanciers, quelques week-ends d’été par an, de décoller ou d’atterrir à l’heure exacte qui leur convient.

02 décembre 2014

Manuel Valls passe avant l’abolition de l’esclavage

Le 2 décembre, dans le monde entier, on célèbre l’abolition de l’esclavage. Pourquoi le 2 décembre ? Parce que la Convention pour la répression et l'abolition de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui a été adoptée par l’assemblée générale des Nations Unies le 2 décembre 1949.

Soixante-cinq ans : c’est sans doute l’âge de la retraite pour une convention internationale. En tout cas, Le Mémorial de l’abolition de l’esclavage ignore cet anniversaire. Et les édiles nantais semblent plus occupés par la visite du Premier ministre. Il n'y a eu que les pêcheurs en colère pour visiter le Mémorial aujourd'hui.

Sur son site web, notre Mémorial comporte des rubriques « événements 2012 » et « événements 2013 » mais rien de tel pour 2014. C’était bien la peine de brasser tant d’air autour de ce monument qui n’intéresse déjà plus personne !

26 novembre 2014

Les mystères de Toulouse après ceux de Pékin pour François Delarozière

Les phénomènes étranges se multiplient autour de François Delarozière. Après les mystères pékinois de la programmation du cheval-dragon, de sa construction, de son financement et de son public, voici le feuilleton toulousain qui redémarre.
En 2011, Toulouse Métropole avait décidé de construire à Montaudran, sur le site historique de l’Aérospatiale, une énorme halle destinée à héberger les machines de François Delarozière. Ce dernier était alors annoncé partant pour Toulouse. Puis il avait démenti. Enfin, peut-être… Puis il était resté à Nantes : aux dernières élections municipales, Toulouse avait changé de bord et le nouveau maire, Jean-Luc Moudenc, avait annoncé l’abandon du projet.
Et voilà qu’hier, d’un seul coup, Jean-Luc Moudenc, flanqué de François Delarozière, a annoncé un revirement à 180 degrés : la halle est construite, pour 14 millions d’euros (contre 11 annoncés à l’origine), il faut bien qu’elle serve à quelque chose, on va y mettre les machines. « Fin de polémique », écrit Pascal Pallas dans La Voix du Midi.
Fin de polémique ou au contraire début des interrogations ? Il y a quelque chose d’étrange dans le revirement de M. Moudenc. Il ne découvre pas aujourd’hui que la halle est achevée, sa construction était déjà bien avancée quand il a annoncé l’abandon du projet. Et les imprécisions qu’il dénonçait naguère (absence de mise en concurrence de La Machine, propriété des œuvres, droits d’auteur…) ne semblent pas avoir été levées. Si les Toulousains sont le moindrement curieux, il leur faudra davantage d’explications.
Le clou des machines de Montaudran sera en principe le Minotaure construit par La Machine pour Toulouse. Il devait initialement déambuler dans la ville à l’automne 2013. On ne l’avait pas vu. Par souci de neutralité à l’approche de l’élection municipale, assurait l’ancienne municipalité. Parce que l’engin n’était pas prêt, chuchotaient les mauvaises langues. Mais qu’est-il donc devenu, ce coûteux Minotaure ? Encore un mystère ! La Dépêche a posé la question à François Delarozière hier à Toulouse. La réponse du créateur n’a fait qu’épaissir les ténèbres : « Il existe et dort dans son labyrinthe. Il n'est pas celui qu'on croit... Quand va-t-il se réveiller? Comment? On va garder la surprise. »
Voilà une réponse labyrinthique qui n’écarte pas les soupçons. Car les mauvaises langues, toujours elles, s’imaginent qu’il pourrait y avoir quelque rapport entre le Minotaure et le cheval-dragon montré voici peu à Pékin. On s’était émerveillé du bref délai écoulé entre la commande de ce dernier et sa livraison. L’hypothèse du clonage éclairerait le mystère. Sans aucun doute, les Toulousains auront envie de savoir s’il y a un lien de parenté entre la machine qu’ils ont payée 2,5 millions d’euros et celle qui a été vendue 2,8 millions d’euros à un promoteur immobilier chinois.

21 novembre 2014

Les Échos s’embrouillent dans les comptes des Machines de l’île

Les Échos, c’est « le quotidien de l’économie », c’est écrit dessus. Mais ça ne l’empêche pas de s’emmêler parfois dans les chiffres. « L'univers onirique des machines de l'île attire chaque année plus de 500.000 visiteurs payants » assurait le journal avant-hier, avec une double attribution à Emmanuel Guimard et à Stanislas du Guerny. Hélas non ! D’abord, ça n’est pas « chaque année » puisque, à ce jour, Les Machines de l’île n’ont revendiqué avoir dépassé le seuil des 500.000 qu’en 2013 – exactement 521.032.

Et surtout, il ne s’agit pas de 500.000 visiteurs mais de 500.000 billets vendus. Comme chacune des trois attractions a sa propre billetterie et qu’au moins une partie des clients en visitent plus d’une, 521.032 billets vendus signifient entre 521.032 et 173.677 visiteurs. Médiane : 260.516 visiteurs. Or 260.000 visiteurs, ce serait à peu près autant que Planète sauvage ou l’Océarium du Croisic : rien de bien impressionnant pour un site de centre ville qui bénéficie d’un soutien massif, en argent et en nature, de la part de Nantes Métropole.

Les Échos terminent leur article par cette précision qui tue : « sur cet été, la fréquentation a plus que doublé ». On se demande bien où le quotidien de l’économie a pu aller chercher cela. Un coup d’œil au site officiel de la ville de Nantes, par exemple, lui aurait appris que « Les Machines de l’île ont quant à elles connu une progression de 24% d’entrées payantes par rapport à l’été 2013 ». Joli score sans doute, mais tout de même loin du plus de 100 % annoncé par Les Échos.

On a vu plus d’une fois Les Machines de l’île gonfler leurs chiffres. Serait-ce contagieux ?

12 novembre 2014

Bilan du Voyage à Nantes 2014 : (5) comment Jean Blaise a choisi l’AURAN

C’est la petite histoire qui se colporte à Nantes ces jours-ci. Début 2014, Jean Blaise a fini par comprendre que les bilans du Voyage à Nantes bricolés par le Voyage à Nantes ne convainquent que le Voyage à Nantes. Il veut les faire établir par un tiers plus crédible. Oui, mais qui ? Pour faire son choix, il décide de soumettre à un petit test différents partenaires possibles.

Un bilan, c’est d’abord des chiffres, se dit Jean Blaise. Il va trouver Yann Rollin, directeur du département de mathématiques à la faculté des sciences de Nantes. Il lui demande :

‑ Combien font 1 et 1 ?

Yann Rollin est en train de couvrir un tableau noir d’équations. Sans tourner la tête, il répond :

‑ Un et un, ça fait 1 prime, bien sûr.

Mauvaise pioche. Jean Blaise se dit qu’un bilan, c’est aussi une masse de données informatiques. Il se rend chez Vincent Ricordel, directeur du département informatique de Polytech Nantes. Il lui demande :

‑ Combien font 1 et 1 ?

Vincent Ricordel, docteur en traitement du signal, est un as du calcul binaire. Il lève à peine les yeux de son écran et répond :

‑ Un et un, ça fait 3, bien sûr.

Ça pourrait le faire, songe Jean Blaise, mais on devrait trouver encore mieux ; au fond, le bilan du Voyage à Nantes, c’est une alouette de chiffres et un cheval de communication. Il va voir Olivier Pohardy, responsable de la spécialisation communication des entreprises et institutions à SciencesCom. Il lui demande :

‑ Combien font 1 et 1 ?

Olivier Pohardy, ancien dircom d’une grande entreprise, est habitué à présenter ses messages sous le meilleur angle. Sans hésiter, il répond :

‑ Un et un, ça fait 11, bien sûr.

Pas mal du tout, se dit Jean Blaise. Juste pour être sûr, et parce qu’un bilan du VAN c’est aussi de la politique, il va voir Jacques Floch, président de l’Agence d’urbanisme de l’agglomération nantaise (AURAN) et lui demande :

‑ Combien font 1 et 1 ?

Jacques Floch, il connaît la musique. Il a été maire de Rezé pendant plus de vingt ans, député pendant près de quinze ans et même secrétaire d’État pendant huit mois. Il sait que les promesses n'engagent que ceux qui y croient. Il se penche vers son visiteur et lui murmure à l'oreille :

‑ Entre nous, mon petit Blaise, tu aimerais que ça fasse combien ?

Retrouvez les épisodes précédents :

08 novembre 2014

Bilan du Voyage à Nantes 2014 : (4) pourquoi le bilan 2013 a été exfiltré

L’opération estivale 2014 du Voyage à Nantes est un grand succès, a proclamé l’AURAN. « Estimation de la fréquentation en 2014 : 540 000 visiteurs, + 7% par rapport à 2013 », c’est écrit en toutes lettres dans son communiqué de presse. Pas mal du tout, même si une progression égale ou supérieure a été constatée en de nombreux points de Bretagne cet été, avec ou sans opération estivale.

Toute la presse locale a répercuté ces chiffres satisfaisants. Mais qui est allé relire le Bilan de l’événement estival 2013 publié l'an dernier par Le Voyage à Nantes lui-même ? Personne, dirait-on. Et pour cause ! Les sites web du Voyage à Nantes et de Nantes Tourisme ont été soigneusement expurgés : on n’y trouve plus trace de ce document. C’est plus prudent. Une année en 13, ça porte malheur.

Et surtout, ce bilan est devenu gênant. Il semble donc avoir subi le même sort que les opposants dans les encyclopédies soviétiques : il n'a jamais existé. Rappelons pourtant ce qui y était indiqué : « RÉSULTATS : À l’été 2013, 650 000 visiteurs extérieurs d’agrément ».


Mais comment afficher 7 % de visiteurs en plus cette année s'il y en a eu 110.000 en moins, 540.000 contre 650.000 ?

C'est simple. Redisons-le : les chiffres de 2013 étaient tout simplement bidonnés, comme ceux de 2012 d’ailleurs. Si l’on « rétropole » les 540.000 visiteurs de 2014 en tenant compte d’une hausse de 7 % d’une année sur l’autre, le nombre réel de visiteurs en 2013 n’a pas dépassé 505.000. Le résultat proclamé par Jean Blaise l’an dernier était gonflé de 29 % !

Et qu'on ne vienne pas invoquer l'accident de calcul : pour établir le bilan de son événement estival 2013, Le Voyage à Nantes s'est fait aider par une société nantaise bien connue, qui se présente comme spécialiste des sondages et des études de marché.

Et ce n’est pas tout. Le montant des dépenses des touristes était, lui aussi, archi-faux :

 
Dépense journalière   annoncée en 2013
Dépense journalière
annoncée en 2014
touristes en hébergement marchand 
55
66
touristes en hébergement non marchand
35
20
excursionnistes 
42
27

Les dépenses étaient donc sous-estimées pour les touristes séjournant dans un hébergement payant mais largement surestimées pour tous les autres, bien plus nombreux. Résultat des courses, les retombées économiques directes annoncées l’an dernier atteignaient 52,3 millions d’euros. En 2014, cette année bien meilleure pourtant, elles ont chuté à… 43 millions d’euros.

Quatre visiteurs sur dix, on l'a vu, ne sont probablement pas des touristes, et sur les six restants beaucoup ne sont pas venus à cause de la promotion estivale du Voyage à Nantes mais à cause du château des ducs de Bretagne, de la cathédrale, des Machines de l'île, du musée Jules Verne, de La Loire à vélo, etc. Il est donc probable que la part réelle du Voyage à Nantes dans les retombées économiques du tourisme en juillet-août 2013 ne dépasse pas une quinzaine de millions à tout casser alors qu'il a coûté 8 millions d'euros : un rendement exécrable.

Et ce n’est encore pas tout : ces chiffres bidonnés ont été officialisés dans le Rapport annuel de Nantes Métropole, un document à valeur légale qu’il va falloir rectifier. Petite bizarrerie au passage : la version de ce rapport mise en ligne date du 11 juin 2014. À cette date, il est probable que l’AURAN avait déjà découvert les acrobaties du bilan 2013.


Et maintenant que ces acrobaties sont avérées, comment Nantes pourrait-elle continuer à confier sa politique touristique à la SPL Le Voyage à Nantes ? La délégation de service public vient justement à échéance à la fin de cette année. Le conseil de Nantes Métropole a adopté le 27 juin dernier le principe de son renouvellement en faveur du Voyage à Nantes, mais il l'a fait sur la foi d'un rapport reprenant des chiffres dont on sait à présent qu'ils étaient faux.

Ce qui soulève un lièvre supplémentaire. Nantes Métropole veut dispenser Le Voyage à Nantes de la mise en concurrence prévue par la loi. Pour légitimer cette exception, en vertu de l'article L1411-12 alinéa b du code général des collectivités locales, elle prétend qu'elle « exerce sur cette SPL un contrôle comparable à celui qu'elle exerce sur ses propres services ». Eh ! bien, ça n'est pas franchement rassurant quant aux services de Nantes Métropole.

Une DSP suppose une grande confiance en son partenaire, or le partenaire, ici, n'a pas seulement raconté des carabistouilles : il n'a pas montré une grande efficacité économique. Pas de quoi justifier en tout cas qu'on lui confie 17 ou 18 millions d'euros d'argent public par an.

(À suivre…)

07 novembre 2014

Bilan du Voyage à Nantes 2014 : (3) le bilan 2013 était faux

En chargeant l’AURAN d’établir le bilan de son opération estivale 2014, Le Voyage à Nantes ne prenait pas trop de risques : l’Agence, qui vit presque uniquement de subventions publiques, ne voudrait assurément pas faire trop de peine à la municipalité nantaise. Mais quand même, assez sévèrement accrochée par la Chambre régionale des comptes le mois dernier, l’AURAN ne pouvait pas non plus brader son professionnalisme.
Il était pourtant souhaitable de publier des chiffres potables, c’est-à-dire encore meilleurs que l’an dernier. En effet, la délégation de service public par laquelle Nantes a confié sa politique touristique au Voyage à Nantes vient à expiration au 31 décembre 2014. Son renouvellement aurait fait désordre en cas de flop.

Que faire, alors ? Puisque la voie de l'hyperbidonnage était fermée, il ne restait qu'à faire semblant d’ignorer les résultats de l’an dernier. L’AURAN les a balayés sous le tapis d'une simple note en bas de son communiqué sur le bilan 2014 : « Les chiffres de fréquentation et d’estimation des retombées économiques retropolés pour 2013 diffèrent des chiffres annoncés en 2013 car la durée moyenne de séjour, variable essentielle au calcul de la fréquentation, a été affinée dans l’enquête 2014 et reprise dans le calcul de la fréquentation. »

Que voilà une manière alambiquée de dire une chose simple : les chiffres proclamés par Jean Blaise en 2013 étaient faux ! Telle est la principale leçon du bilan 2014. Au passage, ils ont bonne mine, les observateur44, michel et autres anonymes qui, l’an dernier, s’indignaient des doutes exprimés par ce blog sur les chiffres affichés par le Voyage à Nantes et sur la méthode utilisée pour les établir. Les voilà désavoués de la manière la plus claire. On attend des excuses...

(À suivre…)

06 novembre 2014

Bilan du Voyage à Nantes 2014 : (2) des visiteurs pas bien curieux

L’AURAN a donc établi un bilan de la fréquentation touristique à Nantes cet été, sous couvert d’un « Observatoire » imaginé pour la circonstance. Faire appel à l’AURAN, est-ce un progrès par rapport aux années précédentes ? Le bilan établi en 2012 par Le Voyage à Nantes avec G&A Links indiquait : « L’AURAN a participé, comme en 2011, aux comités technique et de pilotage de l’étude G&A Links, apportant son expertise des statistiques métropolitaines. » Et le bilan 2013 avait repris la méthodologie de 2012. La vraie différence 2014 n’est donc pas l’arrivée de l’AURAN mais l’éviction de G&A Links !

La méthode employée aurait néanmoins changé. Celle de 2014 a été « développée pour la DGE (ex-DGCIS) et Atout France », indique un communiqué de presse de l’AURAN, mais elle n’a jamais été appliquée : Nantes sert de cobaye. Ses résultats appellent donc un peu de circonspection.

L’outil de mesure essentiel est apparemment une enquête effectuée auprès de 791 passants entre le 24 juillet et le 25 août. Ces gens n’ont pas été cuisinés de très près puisque 35 « journées enquêteurs » ont été consacrées à ce travail, indique Nantes Métropole, soit moins de 20 minutes par personne en moyenne, y compris le temps nécessaire pour se mettre en place, arrêter des passants, etc.

Rien ne dit que ces passants aient été représentatifs des touristes venus visiter Nantes. Ils ont été hélés en huit points de la ville (place Royale, place du Pilori, nefs des Machines de l’île, gare, bureaux de Nantes Tourisme...). Or on découvre que « 61% des visiteurs ont visité un site du Voyage à Nantes (sur Nantes) ». Quoi ? Six visiteurs sur dix seulement seraient allés voir le château des ducs de Bretagne, le jardin des plantes ou l’un des autres sites du parcours ? Sont-ils si peu curieux, nos touristes ? On en conclura plutôt que quatre visiteurs sur dix ne sont pas des touristes : ils sont à Nantes pour voir des amis, pour faire des courses, etc. et n'ont pas grand chose à faire dans le bilan du Voyage à Nantes.

(À suivre…)

Bilan du Voyage à Nantes 2014 : (1) pour une intervention de l’ONU

Le Voyage à Nantes avait déjà publié un bilan de la saison 2014 en septembre. Apparemment, ça n’avait pas suffi, ou ça n’avait pas été assez convaincant : il a récidivé en octobre avec un « Bilan de la fréquentation touristique d’agrément de l’agglomération nantaise – saison estivale 2014 » réalisé par l’OTAN.

 L’OTAN ? Ça en jette ! Hélas, il s’agit seulement de l’Observatoire du Tourisme de l'Agglomération Nantaise, qui n'a d'autre existence que virtuelle. Chacun de nous peut créer des Observatoires à sa guise et l’Agence d’urbanisme de l’agglomération nantaise (AURAN), à l’origine de cet OTAN-là, ne s’en prive pas. Elle s’avère même aussi prodigue en observatoires qu’elle l’a été avec les rémunérations versées à son ancien directeur, ainsi que l’a raconté la Chambre régionale des comptes voici peu.

Au fil des années, elle a invoqué l’Observatoire Nantais de l’Immobilier Tertiaire, l’Observatoire du logement locatif privé,  l’Observatoire des Industries Culturelles et Créatives de Nantes/Saint Nazaire, l’Observatoire de l’habitat, l’Observatoire du foncier et de l'habitat autour du site du projet d'aéroport du Grand Ouest à Notre Dame des Landes, l'Observatoire des formes urbaines, l’Observatoire des transports et déplacements, l’Observatoire de la sécurité routière, l’Observatoire du marché foncier rural et agricole, l’Observatoire de l’environnement, l’Observatoire du Plan de Déplacements Urbains, l’Observatoire des modes de vie, des changements socioéconomiques, l’Observatoire des espaces, l’Observatoire photographique des paysages, l'Observatoire Commercial de l'Agglomération Nantaise, et l'on en oublie probablement, faute d'un Observatoire des Observatoires.

Halte aux comités Théodule, vive la simplification administrative : créons une fois pour toutes un Observatoire nantais unifié (ONU), omniprésent et omniscient, omniAuran en un mot, dont l’acronyme n’en jettera pas moins que l’OTAN.

05 novembre 2014

Nantes rogne le monument aux 50 otages

Pour la commémoration de l’exécution des 50 otages, Nantes avait discrètement supprimé l’un des arbres du mémorial qui leur est consacré, au Pont-Morand.

Pour le 11 novembre, Nantes est en train de reculer le muret limitatif du mémorial le long du quai de Versailles. Il faut dire que cet endroit est l’un des points les plus litigieux des chaussées nantaises. Sur un espace d’un mètre entre le muret et la ligne n°2 du tramway étaient censés coexister des foules de piétons dans les deux sens et de nombreux cyclistes dans le sens sud-nord, sans parler de tous les cyclistes qui passent par là en sens interdit dans le sens nord-sud. Malcommode et éventuellement dangereux.

Mais voilà : le monument aux 50 otages ne se limite pas aux sculptures de l'artiste Seiz Breur Jean Mazuet qui en forment le centre. C’est (c’était…) un ensemble complet développé de chaque côté de ces sculptures et conçu par l’architecte Marcel Fradin. Alors quoi ? Peut-on à volonté débiter en tranches ce lieu sacré ? Manifestement, oui, on peut. Déjà, on l’avait un peu rogné pour faire passer le tramway. On ne fait qu’en grignoter un peu plus, quitte à détruire la symétrie de l’ensemble.

On sait que les 50 otages étaient en fait 48. Il suffira de dire qu’on a repris la part des deux otages qui n’existaient pas…

04 novembre 2014

Les trois mystères pékinois du cheval-dragon : (etc.) la surprise du cinquantenaire

Comme les Trois mousquetaires, les trois mystères du cheval-dragon en comptent un de plus. Mais on préfère éviter de tracer un chiffre que la numérologie chinoise juge maléfique. Certains ascenseurs pékinois passent directement du 3ème au 5ème étage.

Le spectacle de l’araignée et du cheval-dragon était, paraît-il, destiné à célébrer le cinquantenaire du rétablissement de relations diplomatiques entre la Chine et la France. Or ledit rétablissement a eu lieu le 27 janvier 1964. Le spectacle de La Machine avait donc huit mois et demi de retard.

Il n’est jamais trop tard pour bien faire. Cependant, ce cinquantenaire avait été préparé de longue date, en France comme en Chine. Un comité d’organisation des festivités avait été constitué dans chaque pays, des mécènes trouvés et un programme de plusieurs centaines d’événements mis au point. Parmi les principales manifestations prévues en France à partir de la fin 2013 figuraient en particulier la soirée « Nuit de Chine » du Grand Palais à Paris le 27 janvier et une visite d’État du président chinois Xi Jinping.

 De l’autre côté du globe, l’ambassade de France en Chine recensait « huit événements phares » :
  1. Exposition de la Fondation Charles de Gaulle/Concert de la Garde Républicaine (27 et 28 janvier 2014)
  2. Semaine de la science et de la technologie (du 21 au 28 février)
  3. Les 10 chefs d’œuvres du XIXe et XXe siècles (à partir du 11 avril),
  4. Le cinéma français à l’honneur en Chine, à l’occasion des festivals internationaux de cinéma de Hong-Kong (mars), Pékin (15 avril) et Shanghai (juin)
  5. La France invitée d’honneur du sommet « Annual China Green Companies » (20 au 22 avril)
  6. Mois franco-chinois de la « Science et de la Culture » (du 25 avril au 25 mai)
  7. Exposition « France Technologie (à partir de mai)
  8. Temps fort sur la recherche médicale (à l’automne)
De cheval-dragon, point ! Le recensement des manifestations établi par le comité officiel France-Chine 50 ne le mentionne toujours pas au 18 juin 2014 alors qu’il annonce par exemple une tournée du Ballet national de Marseille en Chine du 7 au 26 octobre ou une exposition de sculptures monumentales françaises à Shanghai du 18 octobre au 10 novembre…

En réalité, le spectacle de François Delarozière ne s’insère dans le programme des manifestations qu’en toute dernière minute, apparemment sans grand enthousiasme du côté des Chinois (à cheval-dragon donné, pourtant, on ne regarde pas les dents). L’agence de presse officielle Chine nouvelle l’annonce ainsi : « Du 17 au 19 octobre, le public chinois est invité à découvrir sur le site olympique de Pékin un spectacle inédit intitulé ‘Long Ma, l'esprit du cheval dragon’, a déclaré vendredi le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Romain Nadal. »

D’où le dernier (à ce jour) mystère du cheval-dragon : pourquoi cette arrivée en catimini dans le programme, à la demande de qui, au profit de qui et dans quelles conditions ?

03 novembre 2014

Les trois mystères pékinois du cheval-dragon : (3) qui est ce mécène si discret ?

Le budget officiel du spectacle de La Machine à Pékin s’élève à 5 millions d’euros. Ça ne paraît pas si cher, au fond. Outre sa construction pour 2,8 millions d’euros, il a fallu transporter Long-Ma en Chine par vol spécial en avion-cargo, 600.000 euros à lui tout seul, tandis que l’araignée géante voyageait de son côté (aller-retour, ce voyage-là). Il a aussi a fallu faire venir 80 personnes de France, les loger pendant des semaines à Pékin, les rémunérer…

Si l’on voit bien où sont allés ces 5 millions, on voit moins d’où ils viennent. Ce n’est pas le genre de somme qu’on trouve sous les sabots d’un cheval-dragon. Alors, bien sûr, la question est incontournable : qui paie ? Pas les spectateurs, pour qui le spectacle était gratuit, même s’ils devaient réserver leur place (ce qui aurait facilité leur fichage, s’il en avait pris la fantaisie au gouvernement chinois). Selon le ministère des Affaires étrangères, le projet a été « soutenu par l’Institut français et réalisé sous l’égide de la municipalité de Pékin et de l’ambassade de France en Chine ». À en croire France-Chine 50, comité officiel du 50ème anniversaire des relations diplomatiques franco-chinoises, « le cheval-dragon est un cadeau de la France à la Chine » à l’occasion de ce cinquantenaire.

Le contribuable français aurait donc payé la facture de La Machine ? Non point, jure Nantes Métropole : « Long Ma est en effet un cadeau de la France à la Chine, financé par un mécène ». Ou plusieurs mécènes, selon d’autres sources. L’envoyé spécial de La Croix à Pékin est plus précis : le cheval-dragon est une commande « passée par l’ambassade de France pour être programmée dans le cadre des manifestations de l’année de la Chine, célébrant le cinquantième anniversaire des relations diplomatiques entre la France et l’Empire de Milieu. Plusieurs partenaires s’y sont associés, dont l’Institut français, la ville de Pékin, et un mécène chinois, le Groupe culturel Gehua ». Pas du tout, indique Ouest-France, le cadeau de la France à la Chine est bien payé par un mécène chinois, mais il s’agit du promoteur Adam Yu qui « couvrira 95% des frais de l'opération » (ce qui laisse quand même 250.000 euros à trouver).

A-t-on jamais vu le mécène d’un spectacle très médiatique rester ainsi dans l’ombre ? D’autant plus qu’Adam Yu, s’il s’agit bien de lui, n’est pas un poids plume : il a fait fortune dans l’immobilier en Chine. Il y possède en particulier le centre de finance international Winland. Un inconnu en France ? Peut-être pas. Le président de la République a reçu voici quelques jours le Comité des mécènes qui financent les manifestation du cinquantenaire des relations franco-chinoises. Oh ! l’Élysée ne s’est pas étendu là-dessus et ne mentionne même pas le nom du promoteur, mais l’une des entreprises participantes a mis en ligne une photo de la cérémonie. À la droite de François Hollande se tient Xi Jinping, président de la République populaire de Chine. Et à sa gauche le promoteur Adam Yu, ainsi placé au plus haut niveau dans l’ordre protocolaire, sans que rien n’indique quel rôle officiel lui vaut cet honneur.

Voici donc le troisième mystère du cheval-dragon : Qui a réellement payé le spectacle et pourquoi ?

01 novembre 2014

Les trois mystères pékinois du cheval-dragon : (2) d’où viennent les économies ?

Le dragon Long-Ma pèse aussi lourd (45 t) et est aussi haut (12 m) que le grand éléphant des Machines de l’île. Mais sa technologie est beaucoup plus complexe. Il va plus vite et surtout il accomplit des mouvements beaucoup plus élaborés. Là où l’éléphant ne peut guère que remuer la trompe et les jambes, Long-Ma sait courber l’encolure et se cabrer sur ses pattes arrières. Là où l’éléphant ne crache que de l’eau, il crache aussi du feu. Il contient une double motorisation, davantage de mécanismes et d’électronique.

Le grand éléphant devait à l’origine coûter 2 millions d’euros sur un budget global de 4,8 millions pour l’ensemble éléphant + galerie. Le budget a été porté à 6 millions d’euros en mars 2007, soit un joli dérapage de 25 % ; le coût final de l’éléphant serait ainsi de 2,5 millions d’euros. Entre mars 2007 et septembre 2014, l’indice des prix est passé de 115,4 à 127,80. Sur cette base, le coût théorique de l’éléphant serait passé de 2,5 millions à 2,77 millions. Selon Emmanuel Guimard, du journal Les Échos, la construction du cheval-dragon a coûté pratiquement autant à 1 % près : 2,8 millions d’euros.

Voici donc le deuxième mystère du cheval-dragon : Sur quels postes La Machine a-t-elle fait des économies pour parvenir à construire au même prix que l’éléphant une machine bien plus complexe ? Mystère n° 2 bis : Si des économies ont été possibles pour le cheval-dragon, pourquoi ne les a-t-on pas faites aussi pour l’éléphant, financé par les contribuables nantais ? Mystère n° 2 ter : comment se fait-il que le projet d’arbre aux hérons soit évalué 35 millions d’euros, soit douze fois et demie plus cher ?

31 octobre 2014

Les trois mystères pékinois du cheval-dragon : (1) où sont les foules chinoises ?

La lutte entre les deux mécaniques géantes de La Machine, le cheval-dragon Long-Ma et l’araignée La Princesse, promettait à Pékin un spectacle hors du commun. Les représentations ont eu lieu sur l’esplanade du « Nid d’oiseau », le célèbre stade olympique de Pékin. Tout le monde connaît cet édifice prestigieux.

Avec trois journées de représentation précédées par des répétitions en public, il y avait de quoi attirer les foules. Plus d’un million de Pékinois, a dit François Delarozière. Un million de spectateurs ? Dans cette agglomération de vingt millions d’habitants, c’est comme si 30.000 personnes au total avaient vu le dernier défilé de géants de Royal de Luxe à Nantes ! Or Royal de Luxe, qui n’a jamais fait dans la modestie, en a revendiqué « au moins 500.000 ». Presque 17 fois plus relativement à la taille de la ville.

N’empêche, 1 million de spectateurs, même répartis sur trois journées et neuf représentations, ça fait une foule impressionnante. Or cette foule, aucune des très nombreuses photos et vidéos disponibles en ligne ne la montre. Elles s’attardent largement sur le spectacle, phénoménal il est vrai. Mais même dans les coins, même en arrière plan, on ne voit jamais de grand concours populaire. La tribune officielle elle-même n’a pas l’air bondée. Voici donc le premier mystère du cheval-dragon : où sont passés les centaines de milliers de Chinois disparus* ?
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* Olivia Geng, du Wall Street Journal, livre peut-être la clé de l'énigme : non seulement, les foules ont été tenues à distance par le service de sécurité, mais  « selon les organes officiels chinois, 100.000 personnes au total ont assisté au spectacle au cours du week-end ». Selon les mêmes organes, les spectateurs auraient été... des touristes. On est loin du million de Pékinois aperçu par François Delarozière. Pourtant, le calcul n'était pas trop compliqué puisque les spectateurs devaient réserver leur place.

29 octobre 2014

Nantes et la Loire (5) : 25 ans de perdus pour le grand débat

La Loire en crue, 24 mai 2013
L’ouverture du débat « La Loire et nous » est un événement à marquer d’une pierre blanche. Quels que soient ses résultats, il signale au moins que Nantes a désormais à sa tête une responsable concernée par la question. « L’histoire de Nantes et son agglomération est intimement liée à celle de la Loire et de l’estuaire », souligne Johanna Rolland sur le site web de Nantes Métropole. « La Loire porte, j’en suis convaincue, une part de notre avenir. »

Ce blog avait à sa petite échelle lancé le débat il y a des années avec un post intitulé « La crue et la cuite » (ah ! ah ! ah !). « La Loire devrait être l’atout numéro un du Hangar à bananes », y notait-on. « C’est au contraire sa hantise depuis que quelques poivrots y ont piqué une tête. On a dressé des barrières, ménagé un no man’s land entre le promeneur et l’eau. » Entretemps les barrières ont gagné du terrain : on en a ourlé tout le quai de la Fosse.

Quand Jean-Marc Ayrault est arrivé à la mairie de Nantes en 1989, un grand dessein tout trouvé s'offrait à lui : réconcilier la ville et le fleuve grâce à l’aménagement de l’île de Nantes. Le projet Chemetoff prévoyait d’ailleurs la création d’un port de plaisance. Il est vite passé à la trappe. Pour l’ancien maire de Nantes, apparemment, la Loire n’était que source d'ennuis et prétexte à construire des ponts. Ayrault n’était pas ayraquatique. Avec ce « premier grand débat citoyen », comme dit la ville de Nantes, soulignant ainsi le caractère mineur des précédents, Johanna Rolland tue symboliquement le père-maire. La pierre blanche est une sorte de pierre tombale.

Les articles précédents de la série « Nantes et la Loire » :

27 octobre 2014

Everybody, ça n'est pas tellement de monde

Un lecteur anonyme, peut-être le même qu’après le premier article sur Everybody, n’aime pas ce qui a été dit ici des statistiques du clip. « Dans le cadre d'une promotion touristique ce n'est jamais un site web qui génère du trafic vers un contenu, mais le partage de ce contenu lui-même par des fans et des abonnés », affirme-t-il. Et d’assurer que « la dernière vidéo Vimeo du VAN a fait le tour du web nantais et du web voyage » !

À cette heure, d’après Vimeo, ladite vidéo a été vue exactement 21.415 fois, ce qui réduirait le web nantais et le web voyage à des dimensions lilliputiennes ! Vimeo affiche 2.239 lectures d’Everybody le 26 septembre. Ensuite, le trafic a très vite baissé, jusqu’à 253 lectures le 5 octobre. Une seconde parution sur Facebook* et des articles dans la presse locale ont relancé la machine au-delà des 1.000 vues par jour du 7 au 10 octobre, avant une rechute rapide. Sur la dernière semaine, Vimeo enregistre moins de 100 vues par jour en moyenne. Everybody n’a donc rien d’une vidéo « virale », qui décolle dans les quelques jours suivant sa mise en ligne au lieu de baisser tout de suite.

Le film a obtenu 19 « likes » sur Vimeo, soit moins de 1 pour 1.000 vues, proportion dérisoire qui laisse supposer soit que les mêmes personnes ont vu la vidéo plusieurs fois, soit qu’elle n’a pas plu.

 D’où viennent les visiteurs ? Selon Vimeo, la principale source serait Facebook avec 4.438 lectures – le premier cercle « des fans et des abonnés », donc. Mais Everybody n’y a recueilli à ce jour que 475 « j’aime », et l’on sait que le symbole « j’aime » est souvent utilisé sur Facebook comme une sorte d’accusé de réception plutôt qu’une marque d’approbation. En tout état de cause, 475 « j’aime » pour 4.438 lectures ne dénotent pas un grand enthousiasme.

À quel point les statistiques de Vimeo sont-elles fiables ? Les avis sont partagés, mais on note quand même quelques étrangetés. Ainsi, 3.220 lectures d’Everybody sont d’origine inconnue. Et presque 6.000 lectures proviendraient de 20minutes.fr ou m.20minutes.fr contre 84 seulement de presseocean.fr ! Vous avez dit bizarre ? (À propos, notre lecteur anonyme va devoir réviser ses conceptions. « Ce n'est jamais un site web qui génère du trafic vers un contenu », écrivait-il. Mais voilà que plus d’un quart du trafic proviendrait de 20minutes.fr…)

Quant à YouTube, leader du partage vidéo, huit fois plus fréquenté que Vimeo, Le Voyage à Nantes y possède sa propre chaîne mais n’y a pas chargé Everybody à ce jour. Ce qui lui évite peut-être d’afficher des scores aussi médiocres que ceux des films précédents.
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* Ici, il faut confesser une erreur : les deux précédents articles avaient sous-estimé l’impact de Facebook. La raison en est simple : Le Voyage à Nantes y a annoncé le lancement de la vidéo non pas une fois mais deux, le 26 septembre et le 6 octobre ! Peut-être cherchait-il à relancer des consultations décevantes. On n’avait retenu ici que les « j’aime » et les partages postérieurs au 6 octobre.

23 octobre 2014

« Je ne crois aux statistiques que si je les ai truquées moi-même » -- Winston Churchill

Un lecteur anonyme commente ainsi le précédent article, consacré aux scores des vidéos du Voyage à Nantes sur les réseaux sociaux :
Pour être totalement honnête, il aurait fallu prendre en compte les chiffres de vimeo, plateforme vidéo vers laquelle renvoie le VAN.
Les chiffres sont bien différents :
. Everybody : 21 100 lectures en 3 semaines
. Le Voyage à Nantes : 104 000 lectures
. Estuaire : 42 600 lectures

Cette remarque est légitime. Elle soulève aussi un problème intéressant. YouTube, dont on avait retenu les statistiques ici, compte huit fois plus de visiteurs que Vimeo (environ 800 millions de visiteurs par mois contre 100 millions). Est-il plausible que les mêmes vidéos soient vues huit fois plus sur Vimeo que sur YouTube ?

Certes, comme le souligne notre lecteur anonyme, le site web du Voyage à Nantes renvoie vers Vimeo. Mais levoyageanantes.fr est un site relativement confidentiel : Alexa le classe au-delà du 84.000 rang en France. Il est impossible qu’il ait renvoyé vers Everybody 21.100 visiteurs uniques en trois semaines.

Se pourrait-il alors que ces visiteurs soient passés plutôt par la page du Voyage à Nantes sur Facebook ? Comme on l’a signalé hier, Everybody n’y a récolté en trois semaines que 91 « j’aime ». Les visiteurs arrivés sur Vimeo par cette voie ne peuvent donc pas être très nombreux – ou alors, ils ont détesté le clip.

La question de départ posée à propos du clip Everybody était, rappelons-le : « Fera-t-il le buzz sur les réseaux sociaux comme ses prédécesseurs ? » Pour y répondre, il était logique de se référer au leader des sites de partage vidéo, YouTube. Le Voyage à Nantes y a d’ailleurs sa propre chaîne. Et les statistiques de Vimeo, alors ? Eh ! bien, il y a là un mystère sur lequel chacun peut avoir sa petite idée.

Comme conclut notre lecteur anonyme :

"Les chiffres parlent d'eux-même", dit-on. Attention tout de même à qui les fait parler et d'où les fait-on parler... 

 On ne saurait mieux dire !

22 octobre 2014

Le Voyage à Nantes manque un peu de buzz

Le Voyage à Nantes a présenté le 6 octobre un nouveau film de promotion réalisé comme les précédents par Gaëtan Chataigner, qui semble détenir un quasi-monopole sur ce type de production. Le clip, essentiellement un patchwork d’extraits de ses prédécesseurs, s’intitule Everybody : on sait causer l’anglais au Voyage à Nantes.

« Fera-t-il le buzz sur les réseaux sociaux comme ses prédécesseurs ? » se demandait Frédéric Brenon, de 20 Minutes. Bonne question. Sur Facebook, au 22 octobre, Everybody a recueilli 91 « j’aime », 39 partages et zéro commentaire*.

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, 91 j’aime en seize jours, ce n’est pas si mal. La moitié des posts du Voyage à Nantes sur Facebook n’en obtiennent pas autant. Chez le roi des réseaux sociaux, le VAN paraît pâlichon.

Côté vidéos, Nantes Tourisme possède sa chaîne sur YouTube. Au 22 octobre, ses films affichent les scores suivants :
  • Estuaire Nantes Saint-Nazaire, 1 an, 3.792 vues
  • Estuaire, 1 an, 7.970 vues
  • Jackie et Julie, 2 ans, 2.464 vues
  • Le Voyage à Nantes – Teaser, 2 ans, 666 vues
  • Atelier Van Lieshout – L’Absence, 2 ans, 129 vues
  • Le Voyage à Nantes, film de Gaëtan Chataigner, 3 ans, 16.098 vues
  • Nantes Ville Verte, 5 ans, 15.703 vues
Pas terrible… En deux jours, toujours sur YouTube, le résumé du dernier match de football Nantes-Reims a été vu 10.931 fois. Un reportage sur la manifestation anti-aéroport du 22 février a été vu 317.658 fois en huit mois pile. Une vidéo de promotion du tourisme à Nantes mise en ligne voici juste trois ans, le 24 octobre 2011, a bien été vue 38.003 fois mais, offense suprême, on la doit à Tourisme-SNCF et non au Voyage à Nantes. Et sa fiche annonce d’emblée : « Ancienne capitale du Duché de Bretagne, Nantes dispose d'un patrimoine historique très riche ». Pile-poil ce que Le Voyage à Nantes déteste lire (combien de fois a-t-on entendu Jean Blaise affirmer que Nantes n’a pas grand chose à montrer en dehors des installations de ses protégés ?).
Alors, Everybody fera-t-il le buzz sur les réseaux sociaux comme ses prédécesseurs ? Franchement, vu le score peu glorieux desdits prédécesseurs, on espère qu’il fera mieux.
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* Erratum au 27 octobre : ces chiffres ne concernent que l'annonce de la vidéo faite par Le Voyage à Nantes sur Facebook le 6 octobre. Mais en réalité, cette annonce était la seconde ! Et la première avait été mieux accueillie. Voir le post du 27 octobre.

16 octobre 2014

Tout voyage au bout de la nuit doit bien commencer par un premier pas


Les finances publiques sont mal en point, les collectivités locales sont invitées à faire des économies. C’est le moment que choisit la ville de Nantes pour commander à un conseil extérieur une « Mission d’animation d’un diagnostic partagé sur les nuits nantaises » qui pourrait coûter jusqu’à 40.000 euros.

Avec un manque de clarté approprié au sujet, elle explique qu’elle « souhaite mobiliser un prestataire pour permettre le croisement des regards sur les nuits nantaises afin de constituer une grille de lecture partagée et la mettre en débat avec les acteurs ». On imagine le futur animateur du diagnostic partagé à la manière d’un Jacquouille découvrant l’électricité dans Les Visiteurs : « Jour ! Heuuu ! Nuit ! Heuuu ! » L’une de ses missions sera « d’interroger des points de vue absents », ce qui risque d’être très éclairant. Il devra aussi établir une représentation graphique facilitant « une lecture dynamique des nuits à Nantes », comme si la rubrique faits divers de la PQR n'en donnait pas chaque jour une lecture déjà trop dynamique…

« La vie nocturne n’est pas une question nouvelle pour la Ville » admet cependant le cahier des charges. Pas nouvelle en effet puisqu’elle date du premier jour de la Genèse : « Dieu nomma la lumière jour et nomma les ténèbres nuit ». Mais il faut croire qu’en un quart de siècle, l’équipe de Jean-Marc Ayrault n’avait pas pris la juste mesure de l’obscurité nantaise. Le programme électoral de Johanna Rolland a prévu la création d’un Conseil de la nuit. Pas de conseil sans commissions. La commission « Nuits de Chine, nuits câlines, nuits d'amouuuuur » ne manquera pas de candidats, mais on en cherche aussi pour les commissions « Nuit sans lune », « Nuit des morts vivants », etc. Les démons de minuit vont devoir numéroter leurs abattis.