28 avril 2012

Visite au Mémorial de l’abolition de l’esclavage (6) : occasions manquées

Si l’on veut que le Mémorial ait une utilité touristique, il faut lui en donner les moyens. Quitte à bâtir un nouveau monument, pourquoi ne pas avoir cherché à lui conférer une épaisseur humaine et un caractère « interactif » qui auraient attiré les visiteurs au moins autant que les articles du Code noir ou les interrogations d’Olympe de Gouges ?

On n’a rien fait pour susciter l’un de ces rites ostentatoires dont notre époque est friande. Un indice concret de cette lacune est visible dans le Mémorial tel qu'il existe. La galerie souterraine comporte un petit bassin. Déjà, des visiteurs ont lancé quelques pièces de monnaie : cela montre que le désir est là. Mais cette auge modeste ne rivalisera jamais avec la fontaine de Trevi.

On aurait aussi pu dresser à l’une des extrémités du site une estrade pour les orateurs d’occasion, à la manière du Speakers’ Corner de Hyde Park, histoire de montrer que face à l’esclavage la parole est libre.

On aurait pu ménager dans les murs de la galerie des interstices où l'on aurait glissé des vœux de libération, une bouche de la vérité qui aurait croqué les doigts des négriers comme ceux des menteurs le sont à Rome, une bocca di leone pour y déposer des dénonciations comme à Venise (« Vous connaissez un marchand d'esclaves ? Faites-le savoir. »).

On aurait pu ériger une statue qui aurait invité le visiteur au contact tactile, comme le porcellino de Florence, le manneken-pis de Bruxelles ou le gisant de Victor Noir, au Père Lachaise, dont on connaît les vertus reproductrices (ou, si l’on préfère le bois au bronze et le nez à d'autres organes, comme la statue de Saint Guirec à Ploumanac’h).

La plus belle occasion manquée est cependant celle des esclaves de l’amour. Les grossières rambardes du Mémorial ne rendent pas justice à la métallurgie nantaise. Mais surtout, leurs barreaux sont trop épais pour que les amants y attachent des cadenas avant d’en jeter la clé à la Loire, ainsi qu’on fait sur d’innombrables ponts du monde entier (une opportunité déjà bêtement loupée par la passerelle Schoelcher). Dommage : à raison de dix barreaux* sur 300 m de long et de 3 cm pour chaque cadenas, il y avait de quoi en suspendre 100.000 !
* En réalité, si les balustrades de l'esplanade comptent bien dix barreaux, celles de la promenade n'en ont que six, sans que rien n'explique cette rupture de rythme.

27 avril 2012

Visite au Mémorial de l’abolition de l’esclavage (5) : une création rétro


En confiant la création du Mémorial à Wodiczko et Bonder, la municipalité nantaise savait que l’édifice aurait un aspect résolument sinistre.

Né en 1943 et élevé dans la Pologne communiste, Krzysztof Wodiczko n’a sûrement pas eu une enfance heureuse. Après des études de dessin industriel, il a contribué à la conception d’un mémorial aux victimes du camp de concentration de Majdanek. Émigré au Canada en 1977, il s’est surtout fait connaître par des projections lumineuses géantes et des véhicules pour SDF.

L’architecte argentin Julian Bonder est un spécialiste des mémoriaux. On pourrait dire que le mémorial est, avec les galeries commerciales et les tours de bureaux, l’un des types de bâtiment les plus représentatifs du 20e s. C’est presque un genre à part entière, avec ses propres codes esthétiques : pas de mémorial sans béton brut et lignes anguleuses.

À moins d’une heure de Nantes, le Mémorial de la Vendée, érigé en 1993 en hommage aux victimes d’une « colonne infernale » républicaine de 1794, en donnait déjà un exemple typique. La parenté conceptuelle entre le Mémorial de la Vendée et le Mémorial de l’abolition de l’esclavage est d’ailleurs frappante. On retrouve même dans les deux cas un « parcours de mémoire », de la chapelle des Lucs-sur-Boulogne au mémorial dans le premier cas, du château au mémorial dans le second.

Le Mémorial de Nantes apparaît ainsi comme un monument du 20e s attardé au 21e s.

25 avril 2012

Les mondes marins et l'air du large

Soumis à des rafales de 100 kmh cet après-midi, le Carrousel des mondes marins a passé avec succès l’examen de sa première tempête. Il a quand même fallu sérieusement carguer les voiles pour éviter que l’édifice ne prenne le large comme l’immeuble de la Crimson Permanent Assurance au début de Monty Python : Le Sens de la vie.

L’éléphant est resté à l’abri. Vu sa prise au vent, on peut supposer que le Carrousel sera comme lui obligé de faire relâche quand les vents soufflent au-delà d’une certaine vitesse.

Visite au Mémorial de l’abolition de l’esclavage (4) : une vocation bâtarde

L’abolition de l’esclavage devrait inspirer l’enthousiasme : pourquoi a-t-on construit à Nantes ce monument sinistre au moralisme pesant ? Voici comment Jean-Marc Ayrault tentait d'exposer dans son blog  la vocation du Mémorial :

« Il marque de manière solennelle et durable le rapport que doit entretenir Nantes et son territoire à son histoire de premier port négrier de France, à honorer la mémoire de ses victimes et à saluer le courage de ceux qui, là-bas et ici, esclaves, les premiers, abolitionnistes, hommes et femmes illustres ou anonymes des continents africain, américains du Sud et du Nord, européen, des Antilles et des Caraïbes, se dressèrent, se soulevèrent, se révoltèrent, menèrent et mènent le combat contre l’esclavage, résistent et résistèrent à toutes formes d’asservissements et d’avilissement de la dignité humaine. »

Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement. Cette phrase de cent mots à la syntaxe douteuse (à quoi se rapporte « ses victimes », par exemple ? Au rapport, à Nantes et à son territoire... ?) montre combien il est difficile pour le maire de Nantes d'expliquer la philosophie du Mémorial*. Ce dernier est en réalité l'enfant bâtard, péniblement accouché après plus de douze ans de gestation, de deux courants divergents : les chantres de la repentance et les hérauts de l'abolition. Il multiplie les gages aux premiers qui ont bruyamment réclamé ce monument pendant des années. C’est un acte de contrition qui ne dit pas son nom : comme eût dit Orwell, l’abolition, c’est la repentance !
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* Jean-Marc Ayrault a d’ailleurs quelques difficultés avec la question de l’esclavage en général. « Lutter contre toutes les formes d’esclavages », écrivait-il dans un autre article de son blog, « c’est aujourd’hui honorer la mémoire des victimes innocentes de la tragédie de l’école juive Ozar Hatorah de Toulouse et celles de nos soldats assassinés à Toulouse et à Montauban, victimes de l’antisémitisme et du fanatisme. » Le rapport entre la lutte contre l’esclavage et les crimes de l’islamiste Mohammed Merah paraît quand même bien lointain.

23 avril 2012

Vous chantiez, j’en suis fort Blaise. Eh ! bien buzzez maintenant

Plus la date du Voyage à Nantes se rapproche, plus sa stratégie commerciale paraît floue. La SPL vient de mettre en ligne un deuxième clip vidéo réalisé par Gaétan Chataigner. Hormis une brève apparition d’un Spiderman de mardi gras, il n’a rien de commun avec le premier. Il ne montre rien d’autre que l’intérieur de La Cigale. Julie Depardieu y donne la réplique à un Jackie Berroyer tragiquement authentique dans le rôle d’un vieillard un peu gâtouillard qui a oublié son texte de promotion du Voyage à Nantes.

« Y aura de la poésie et de la tendresse… y aura quelque chose qui appelle l’ailleurs, tu vois, pour respirer un grand coup… » parvient-il à ânonner. Parmi les rares « précisions » qu’il avance sur la manifestation estivale figurent une oie géante apprivoisée au sommet d’une tour, un restaurant dans un zeppelin qui survolera la ville, un manège de 150 m de haut…

« Ça donne envie », dit sa blonde interlocutrice. C’est le but de la manœuvre, bien sûr – et c’est là le hic puisque l’article L121-1 du code de la consommation prohibe les allégations fausses portant sur les qualités substantielles d’un service. Il n’y a pas de quoi fouetter un chat, certes, et ces allégations borderline ne risquent guère de conduire Jean Blaise devant les tribunaux.


Le vrai problème est ailleurs. La Cigale est toujours un lieu sympathique. Julie Depardieu est charmante. La vidéo est bien réalisée. L’idée est sans doute de créer du buzz à l’aide d’une vidéo virale. Mais 90 % des vidéos mises en ligne ne deviennent jamais virales, assure le World Advertising Research Centre, et celle-ci n’a aucune chance de sortir du lot. Totalement nombriliste, elle n’est évocatrice que pour les protagonistes du Voyage à Nantes. Son lancement est d’ailleurs un flop : seule la presse régionale en a parlé et les statistiques de consultation ont baissé dès le surlendemain de la mise en ligne au lieu de décoller. Il n'est pas dit que l'effort ici accompli par ce blog soit suffisant pour y remédier.

« Ils font des trucs bien barrés », bredouille Berroyer. Bien barrés ? On n'en dira pas autant du Voyage à Nantes.

21 avril 2012

Visite au Mémorial de l’abolition de l’esclavage (3) : quelque chose d’Oceania

Le Mémorial a le misérabilisme ostentatoire. Ses créateurs ont soigné l'ambiance carcérale. Les murs sont en pierres apparentes et en béton nu (moulé par endroits pour donner l’impression de banches à l’ancienne, on l’a déjà signalé), les parties métalliques rarement peintes, les éclairages sommairement fixés au plafond. Curieusement, on a mis plus de soin à dissimuler les caméras de surveillance.

Au bout du monument, une grande meurtrière encadre impérieusement le palais de justice, comme si une main invisible vous tournait la tête de force vers ce sinistre édifice, sous l’œil d’une caméra. On n’est pas là pour rigoler.

Le choix des textes n’est pas plus aimable. Le sujet de l’esclavage n’est pas joyeux en soi. Mais le mot liberté, qui devrait l’être, impitoyablement scandé de panneau en panneau, évoque une punition : vous me le copierez cent fois. Il figure là en quarante-sept langues. Il n’y manque pas seulement la langue bretonne, comme on l’a dit, mais aussi la novlangue, car son entêtante présence évoque irrésistiblement la fameuse devise du 1984 de George Orwell : « La liberté, c’est l’esclavage ». Le ministère de la vérité (en abrégé Minivayr) est passé par là.

19 avril 2012

Visite au Mémorial de l’abolition de l’esclavage (2) : la Loire derrière le mur

Moins raté que la surface, le sous-sol du Mémorial ne répond quand même pas à la question : Mais où sont donc passés les 8 millions d’euros des Nantais ? Si l’intérieur du monument présente une homogénéité qui fait défaut à l’extérieur, il reste assez pauvre. Ne serait-ce que parce que le site choisi lui a irrémédiablement imposé une présentation longitudinale.

Les vastes pans inclinés en verre exploitent habilement cet espace étriqué. Pourtant, ils sont moins impressionnants dans la réalité qu’en théorie : comme leur fraction extérieure n’est visible qu’au niveau de l’escalier d’accès, leur aspect n'est pas aussi monumental qu’espéré. Leur couleur bise est peu attrayante mais les textes inscrits en noir y sont bien lisibles. On dirait des Kindle ou des Kobo géants.

Hormis un maigre espace pédagogique aux teintes rouges et noires, c’est tout ce que le Mémorial donne à voir. Dans un monument aménagé sous le quai de la Fosse, on aurait pu espérer une vue imprenable sur la Loire. À l’origine, d’ailleurs, il devait être inondable les jours de grande marée ; l’idée vendue par les concepteurs n’a pas été concrétisée.

Cette réintroduction du fleuve dans la ville aurait été spectaculaire et chargée de symboles : comment mieux rappeler que les navires négriers n’arrivaient pas tous à bon port ? Mais point d’écoutilles ou de baies façon Nautilus : il faut monter une marche pour apercevoir le fleuve derrière un mur de béton. La Loire aurait pu faire corps avec le monument ; elle ne fait que décor.

17 avril 2012

À lui de leur faire préférer le train

L’équipe du Voyage à Nantes a entrepris de présenter sa grande manifestation estivale dans plusieurs villes de France et d’Europe, toutes reliées à Nantes par des lignes aériennes régulières. Cette politique promotionnelle paraît raisonnable.

Sauf que le Voyage à Nantes se présente ainsi : « Le Voyage à Nantes, c’est un parcours urbain de 8,5 km, de la gare SNCF à la pointe Ouest de l’Ile de Nantes. » Cette définition a été reproduite à maintes reprises sur le web et dans la presse écrite.

Faire les yeux doux à Air France puis prendre la gare SNCF comme l'origine de toutes choses : il n’y a que le VAN pour cafouiller ainsi ! À moins qu’il ne considère la gare comme une œuvre d’art majeure ?

13 avril 2012

Le Voyage à Nantes annonce la fin du monde culturel à Marseille

Le Voyage à Nantes vient de présenter sa manifestation estivale dans l’une de ses villes-cibles, Marseille. On ignore ce que l’équipe de Jean Blaise a pu raconter aux Marseillais, mais le site Communes.com, dont le correspondant était là, titre ce matin : « Nantes, un road-show pour annoncer l’apocalypse culturelle en 2012 ».
« Apocalypse » signifie pour l’Académie française « révélation des choses cachées et particulièrement des signes qui annonceront la fin du monde » ou « événement tragique comme la fin du monde ».

On s’était moqué ici de l’appellation HAB Galerie choisie par Le Voyage à Nantes pour son espace d’exposition du Hangar à bananes, HAB étant synonyme de catastrophe planétaire. Ce n’était donc qu’un signe avant-coureur.

12 avril 2012

Visite au Mémorial de l’abolition de l’esclavage (1) : il faut savoir souffrir pour être moche

Du Mémorial de l’abolition de l’esclavage, les commentateurs vantent en général les bonnes intentions, ce qui leur évite d’évoquer ses aspects matériels. Car ce site peu remarquable donne l’impression que la grande cause à laquelle il est dédié a été traitée à l’économie. Il a pourtant coûté presque 8 millions d’euros. Il ne les fait pas : Nantes n’en a pas pour son argent.

Commençons par la surface ; on parlera du sous-sol plus tard. L’esplanade du Mémorial remplace un ancien parking et son béton tout bête en garde quelque chose. On pourrait se dire qu’elle a l’avantage d’exister. Ce n’est même pas certain : son seul agrément visuel est la Loire. Pour qui voulait longer le fleuve, le parking d’autrefois faisait aussi bien l’affaire ; à regarder l’eau, on ne voyait pas les autos.

L’esplanade est coupée dans le sens de la longueur par les fameuses lames de verre. Il paraît qu’elles sont un exploit technique. Elles n’en ont pas l’air. Ce long plan incliné de couleur indéterminée, nu comme la main, suggère quelque vocation industrielle inaccomplie, des capteurs solaires à l'état cadavérique, ou peut-être l’amorce d'un skate-park inachevé, d’autant plus que le traitement de ses extrémités a manifestement été bâclé.

En bout d’esplanade, un modeste parallélépipède abrite un ascenseur. Son béton brut de décoffrage évoque lui aussi un travail mal fini. Ça n’est même pas naturel, car on n’utilise plus de banches en planches depuis longtemps. Pour que l’édicule ressemble à un blockhaus du mur de l’Atlantique, il a fallu utiliser un moule spécial. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?

Au-delà de l’esplanade, une allée bétonnée en zig-zag a été substituée à la promenade piétonne rectiligne d’autrefois. Il n’est pas dit que ce soit un progrès. Des arbres ont été plantés mais il faudra du temps pour qu’ils remplacent, s’ils y parviennent, le bel ensemble de magnolias qui encadrait la maison de la mer Daniel Gilard. Naguère, l’endroit comportait aussi un joli jardinet fleuri encadrant une allée pavée ornée d’un impressionnant mortier. Disparu, le mortier.

On a semé d’un bout à l’autre du site deux mille plaques de verre portant des noms de ports et de navires négriers. À défaut d’être spectaculaire, ce dispositif anecdotique est distrayant pour qui est prêt à cheminer courbé en deux afin de lire les noms du Bienfaisant, de La Clarisse ou de La Levrette. Une promenade à faire au plus vite, car ces plaques semblent destinées à mal vieillir. Déjà peu lisibles, elles ont tendance à s’opacifier sous l’effet du piétinement.

Bref, le site vu de dehors n’a ni la majesté d’un monument, ni l’amabilité d’un jardin.

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Visite au Mémorial de l'abolition de l'esclavage

Cette "visite" comprendra huit articles :



11 avril 2012

Hôtels de Nantes (4) : cerise sur le gâteau

Quand on parle d’hôtellerie à Nantes, on ne peut pas ne pas parler de l’Hôtel de la Duchesse Anne, dont les ruines continuent de se dégrader face au château. Jean-Michel Nagat, animateur du débat organisé par TéléNantes l’autre jour, a donc interrogé Rachel Bocher.

Bonne nouvelle ! a répondu celle-ci. Les choses bougent, « on s’achemine vers une sortie de crise », et la ville accompagnera la renaissance de cet hôtel merveilleusement placé si près des bureaux du Voyage à Nantes !

La nouvelle est bonne, certes. Mais le large sourire de l'adjointe au maire chargée du tourisme avait presque l'air d'une provocation envers Gilles Cibert, président des hôteliers, qui venait de souligner les difficultés de sa profession. Déjà en surcapacité avec 8.100 chambres, l'hôtellerie nantaise va devoir faire avec 100 chambres de luxe supplémentaires. Trente six mille cinq cents nuitées en plus chaque année : de quoi absorber d'un coup tout l'impact espéré d'une manifestation comme le VAN.

10 avril 2012

Hôtels de Nantes (3) : une économie boiteuse

Demain, l’hôtellerie ira mieux, assurent Nantes Métropole et Le Voyage à Nantes. Mais à quoi bon mourir guéri ? C’est ici et maintenant que le problème se pose. Il ne date pas d’hier, mais Jean-Marc Ayrault et son équipe paraissent ne jamais en avoir pris la mesure. L’hôtellerie nantaise souffre d’un déséquilibre très important entre l’activité d’affaires et l’activité de tourisme : la fréquentation chute pendant le week-end et en été. Il est peu utile, voire néfaste, de développer les congrès si le tourisme ne suit pas.

Nantes va devenir une grande destination touristique ont néanmoins promis MMmes Péneau et Bocher au cours du récent débat organisé par TéléNantes. C’est plus vite dit que fait, leur a répondu Frédéric Brenon : « il ne faut pas se leurrer, on est dans une concurrence internationale, les autres grandes villes bougent aussi et certaines ont des atouts que Nantes n’a pas ».

Le VAN sera-t-il cet atout qui manque à Nantes depuis vingt ans ? Il vaudrait mieux ! « En fait, on n’a pas la possibilité d’envisager un échec », souligne Gilles Cibert, patron des hôteliers. « On est en train de parler de 2.500 personnes, d’emplois directs dans l’hôtellerie ». Tel que c’est parti, à la place de Jean Blaise, on irait mettre un cierge à sainte Rita.

08 avril 2012

Hôtels de Nantes (2) : une bulle hôtelière ?

Avec les établissements en construction aujourd’hui, le nombre de chambres d’hôtel à Nantes aura augmenté de 47 % depuis 2005. Depuis cette année-là, la fréquentation n’a progressé que de 25 %. Résultat : le taux d’occupation ne dépasse pas 62 %. Nantes est l’une des villes de France où le chiffre d’affaires par chambre est le plus bas.

Pourquoi prendre 2005 comme référence ? Parce que c’est l’année de réalisation d’une grande enquête BDO cofinancée par Nantes Métropole et par la Chambre de commerce et d’industrie. Elle avait conclu que le marché hôtelier nantais avait un bel avenir devant lui et qu’il fallait renforcer l’offre. L’establishment nantais avait les chevilles enflées : grâce au dynamisme municipal, Nantes allait devenir une métropole mondiale, ou guère de moins. Les hôteliers ont mordu à l’hyperbole : ils ont investi. « Les opérateurs ont largement anticipé l’attractivité du territoire » disait Gilles Cibert, qui fait plutôt dans la litote, lors du récent débat organisé par TéléNantes. Mais le soufflé est retombé. Les promesses municipales n’engagent que ceux qui y croient…

Et les promesses non tenues n’empêchent pas de promettre encore. « La nouvelle offre hôtelière nous permet d’entrer dans la cour des grandes destinations touristiques » assurait Aurélie Péneau, directrice marketing du Voyage à Nantes lors du débat de TéléNantes, appuyée par Rachel Bocher, adjointe au maire, qui disait : « on est en train de construire une ville […] qui a la capacité d’être attractive en termes touristiques ». Voilà que la municipalité vante une politique de l’offre !

06 avril 2012

Le Mémorial de l'abolition de l'esclavage et la langue de bois d’ébène

À en croire l’historiographie municipale officielle, les Nantais ont effacé la traite atlantique de leur mémoire. Depuis vingt ans, on nous l’a dit et redit sur tous les tons : Nantes a occulté son passé, Nantes ne voulait pas voir la vérité en face, etc. Aujourd’hui, c’est écrit sur le site web du Mémorial :

"En 1848, après de longs combats, est votée l’abolition de l’esclavage, en grande partie grâce au combat mené par Victor Schœlcher. Nantes tourne la page mais, entre cynisme et mauvaise conscience, elle est recouverte du manteau du silence et de l’oubli.
Il faut attendre les années 1990 pour que des Nantais entament avec la Municipalité une démarche volontaire pour regarder l’histoire en face."

"Cynisme et mauvaise conscience" : c’est écrit en toutes lettres sur ce site payé par les Nantais eux-mêmes. Or c'est faux.

Bien entendu, nul n’a (ou n’avait jusqu’à ce jour) considéré la traite comme le fait majeur de l’histoire de la ville. L’histoire d’autrefois était d’abord événementielle : on s’intéressait aux guerres, aux couronnements, aux traités bien plus qu'aux activités économiques. Et puis, tout le monde cultive de préférence les souvenirs glorieux.

Néanmoins, les grands classiques de l’histoire de Nantes, y compris ceux d'auteurs nantais, ont toujours signalé le commerce triangulaire, parfois de façon très détaillée. C’est le cas des Annales de Nantes de F.C. Meuret (1830), du Dictionnaire historique, géographique et topographique de Nantes de J.F. Macé de Vaudoré (1836), des Archives curieuses de la ville de Nantes et des départements de l'Ouest, de F. J. Verger (1838), des Essais historiques sur la ville de Nantes et de l’Histoire de Nantes d’Ange Guépin (1832 et 1839), de Du commerce de Nantes de E.B. Le Bœuf (1857),  de Nantes ancien et le pays nantais de Charles Dugast-Matifeux (1879), de La Course et les corsaires du port de Nantes de Stéphane La Nicollière-Teijeiro (1896), de Les Anciens corps d'arts et métiers de Nantes d'Edouard Pied (1903), de Nantes, port maritime & port fluvial de Jacques Dagault (1905), de Le Commerce de Nantes et la révolution de Marcel Treille (1908), de Nantes au 18e siècle, l’ère des négriers de Gaston Martin (1931), de Nantes du vicomte Hervé du Halgouët (1939), de Les Derniers négriers de Louis Lacroix (1952, 1967, 1977), de Histoire de Nantes de Paul Bois (1977), de Nantes de Jean Mettas (1978), de Histoire d'une ville et de ses habitants d'Emilienne Leroux (1984), de Nantes de Paul-Louis Rossi (1987), de Nantes et le Pays nantais et Nantes et le temps des négriers d’Armel de Wismes (1978 et 1983). Excusez du peu : cette liste vite faite est sûrement incomplète.

Tous les Nantais qui ont visité le musée des Salorges installé au château des ducs de Bretagne à partir de 1955 et pendant près d'un demi-siècle peuvent en témoigner : loin d’être dissimulée, la traite y était clairement signalée et illustrée. Elle a aussi été plusieurs fois évoquée dans les revues historiques locales comme le Bulletin de la Société archéologique de Nantes et les Annales de Nantes et du Pays nantais. Et également dans quelques romans où Nantes est mise en scène comme Les Négriers de Jean Lainé (1970) ou des biographies comme Le Roman de Sophie Trébuchet de Geneviève Dormann (1982). Elle a toujours été signalée dans les guides touristiques (p. 470 dans le Guide bleu Bretagne de 1977, par exemple).

Les auteurs de la présentation officielle du Mémorial ignoraient-ils tout cela ? Si c’est le cas, ce n’est pas brillant. Mais sinon, la "démarche volontaire" entamée par la Municipalité pour "regarder l'histoire en face" vise au contraire à la regarder de travers ! Vous avez dit "cynisme" ?

05 avril 2012

Hôtels de Nantes (1) : le VAN a de quoi inquiéter

L’opération de com’ menée la semaine dernière par les hôteliers nantais ressemble assez à une condamnation implicite du Voyage à Nantes. On l’a bien vu lors de l’intéressant débat organisé par TéléNantes, qui réunissait, autour de Jean-Michel Nagat, Rachel Bocher, adjointe au maire chargée du tourisme, Frédéric Brenon, journaliste de 20 minutes, Gilles Cibert, président du Club hôtelier de Nantes et patron du La Pérouse, et Aurélie Péneau, du Voyage à Nantes.

Compte tenu de l’augmentation de l’offre hôtelière à Nantes, « il faut louer 110.000 chambres en plus l’année prochaine pour maintenir le taux d’occupation de 2011 », a souligné Gilles Cibert. La manifestation organisée l’été prochain par le Voyage à Nantes a pour objectif officiel d’attirer entre 20.000 et 40.000 visiteurs supplémentaires. Il en faudrait trois ou quatre fois plus ! D’ailleurs, rien ne dit qu’ils dormiront tous à l’hôtel : comme l’a signalé Frédéric Brenon, la Folle journée a battu ses records cette année, et pourtant les hôtels n’ont pas fait le plein.

Pourquoi les hôteliers manifestent-ils leur inquiétude aujourd’hui et non mi-décembre, quand Le Voyage à Nantes a annoncé ses objectifs au Conseil des acteurs du tourisme ?  Sans doute se sont-ils dit que le VAN comptait en réalité faire mieux, qu'il avait délibérément fixé la barre très bas pour pouvoir crier victoire aisément. Car les chiffres mis sur la place publique, on l’a dit, ne tiennent pas la route. Ils signifient que la ville irait jusqu’à dépenser 8 euros chaque fois qu’un touriste en injecterait 10 dans l’économie locale. C’est évidemment absurde.

Mais vu le flou qui règne sur les projets et le peu d’intérêt des animations annoncées à ce jour, les objectifs minimalistes du VAN paraissent de plus en plus réalistes ! On comprend que les professionnels de l’hôtellerie s’alarment. Souligner aujourd’hui la modestie des chiffres pourrait bien être un moyen poli de dire à la municipalité : le VAN va dans le mur, bougez-vous un peu, et vite !

04 avril 2012

ACCOORD (2) : davantage qu’un désaccoord

La Chambre régionale des comptes est toujours modérée dans ses propos ; son rapport sur l’ACCOORD  ne fait pas exception. La réponse que lui a adressée Marie de Lamballerie Anton ne s’embarrasse pas des mêmes circonlocutions.

L’ancienne présidente de l’ACCOORD ne veut pas porter le chapeau. « La structuration du rapport est approximative tant dans la chronologie des événements que dans l’indistinction du rôle des différentes acteurs », dénonce-t-elle, « ce qui permet d’exonérer les élus de la Ville de Nantes de leurs responsabilités, et d’accuser la gouvernance de l’ACCOORD de tous les maux. »

Mme de Lamballerie Anton fait un récit enlevé des circonstances de son éviction, « à vous dégoûter d’être bénévole, contribuable et électeur à Nantes ». C’est si moche que la Chambre régionale des comptes, avant de la publier, a expurgé sa contribution « en application des dispositions de la loi du 29 juillet 1881 et particulièrement de son article 29 relatif aux propos à caractère diffamatoire »* !
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* Il est curieux que la Chambre régionale des comptes invoque les « dispositions » de l'article 29, qui n'imposent nulle censure et se contentent de définir la diffamation  (« Toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé »). Celle-ci est punie par les articles 30 à 34 de la loi… à moins de prouver la vérité du fait diffamatoire (article 35), car diffamatoire ne signifie pas faux !

03 avril 2012

ACCOORD (1) : il y a du jeu dans la courroie de transmission

La Chambre régionale des comptes vient de rendre un rapport plutôt salé sur l’ACCOORD , qui gère les centres de loisirs et autres activités sociales de la ville de Nantes.

L’ACCOORD est une association loi de 1901. Cette formule présente un gros avantage : si ça marche bien, c’est grâce à nos sages édiles, si ça marche mal, c’est la faute à la mauvaise organisation de cet acteur indépendant. On est là dans le second cas. Comme le souligne Pascal Bolo, adjoint délégué, dans sa réponse à la Chambre au nom du maire, l’ACCOORD est liée à la ville par une « convention d’objectifs » qui « ne comporte pas un niveau d’exigences aussi élevé que la convention de délégation de service public » : l’ACCOORD peut déraper, les élus s’en lavent (presque) les mains.

« Confrontée depuis 2008 à des déficits successifs, du fait avant tout d’une mauvaise maîtrise de ses charges, particulièrement de personnels, ACCOORD doit réussir à mener à bien des plans de redressement qui ne pourront faire l’économie de mesures sensibles socialement », écrit pudiquement la Chambre régionale des comptes dans son rapport sur la gestion de l’association pour les années 2005 à 2010. En un mot comme en cent, l’ACCOORD était mal gérée. C’est ennuyeux pour une organisation à laquelle la ville verse plus de 15 millions d’euros par an.

Avec l’ACCOORD, la municipalité nantaise avait tenté de créer une courroie de transmission à sa main, débarrassée d’une partie des règles du service public et moins vulnérable aux aléas électoraux. Mais les citoyens sont dérangeants, certains ne veulent pas entrer dans le moule. « Le caractère très perfectible d’une évaluation peu pertinente, notamment pour mesurer l’impact de l’action d’ACCOORD en matière de lien social, ainsi que le développement spontané de nombreuses associations de proximité dans les quartiers, ont affaibli, année après année, le positionnement de l’association », note la Chambre régionale des comptes.

La leçon n’a pas suffi : avec La Fabrique comme avec Le Voyage à Nantes, la municipalité de Jean-Marc Ayrault suit la même démarche de contrôle du terrain. Et obtient le même début de résultat : les groupes les plus épris de liberté se méfient de La Fabrique, malgré ses moyens hors pair. Elle devrait relire la fable du chien et du loup.

02 avril 2012

Le Mémorial de l’abolition de l’esclavage sans Frankiz

Le Mémorial de l’abolition de l’esclavage inauguré voici huit jours à Nantes n’a pas seulement oublié Jules Verne.

Sur les grands vitrages inclinés qui forment l’essentiel de son décor, explique le site officiel du Mémorial, « le mot Liberté a été traduit dans 47 langues parlées de nos jours dans des pays qui ont été fortement concernés par la traite négrière atlantique et par l’esclavage colonial, en Afrique, en Amérique, aux Antilles, en Océan Indien, en Europe ».

Il est étrange que ce monument à portée soi-disant universelle s’en soit tenu à la traite négrière atlantique et à l’esclavage colonial. Et plus étrange encore que le mot « Liberté », qui figure là en russe, en afrikaans, en bambara, en baoulé, en créole haïtien, cubain, jamaïcain, barbadien, louisianais, martiniquais et guyanais (pas trop difficile : ça se dit « Libèté » dans tous les cas), en fang, en kikongo, etc., n’y figure pas en… breton.

Outre Nantes, la traite a été pratiquée à Vannes, Lorient, Brest et Saint-Malo. La langue bretonne aurait donc eu toute sa place dans le Mémorial. Mais on sait que Jean-Marc Ayrault tient à camoufler la bretonnité de Nantes. Le syndrome de l’encyclopédie soviétique a encore frappé !