05 novembre 2011

Nantes, la belle endormie ? (3) De la belle assommée à la belle hypnotisée

« Nantes, la belle endormie », on l’a vu hier, est une invention ex post facto. Décrit-elle néanmoins une réalité d’avant 1989 ?

La période n’était pas rose pour l’économie et le monde du travail nantais. Les chantiers navals, l’une des principales industries de référence locales depuis des siècles, avaient fermé en 1987. La biscuiterie et la conserverie cédaient du terrain. La BN avait quitté la ville et LU n’allait pas tarder à suivre, Amieux avait disparu, Cassegrain était croqué par Bonduelle… La ville était un peu groggy – pas endormie, plutôt assommée.

L’université de Nantes, en revanche, était en plein essor. Ses effectifs étudiants avaient presque doublé en une dizaine d’années. Les divertissement offerts étaient en retard sur cet afflux démographique. Les étudiants, qui de tout temps ont reproché leur tranquillité aux villes de province, n’avaient pas d’exutoire suffisant à leur vitalité. Quand on vit la nuit, le monde alentour paraît assoupi.

L’expansion universitaire avait aussi multiplié les « nouveaux instruits », comme il y a des nouveaux riches, souvent coupés de leurs racines culturelles populaires mais incapables d’accéder proprio motu à une culture élitiste pratiquée dans le secret des salons. Une fois leurs études terminées, ils pouvaient ressentir un certain engourdissement.

Avec le temps, l’économie nantaise allait se trouver de nouvelles lignes de force (l’une d’elles étant la ligne de TGV)*, l’offre de divertissement allait s’adapter à la demande étudiante, les plus toniques des nouveaux instruits allaient accéder à une culture autonome. La municipalité Ayrault n’y était pour rien. Peut-être n'était-elle même pas la mieux placée pour favoriser la revitalisation de l’économie, le jeu du marché et les pratiques culturelles individuelles. Elle a bénéficié après 1989 d’un mouvement dont elle n’a pas été le moteur.

Cependant, avec de grandes opérations événementielles comme les Allumées, elle a aussi apporté quelque chose de nouveau dans la ville, une culture « bling bling » qui fascine les nouveaux instruits comme une Rolex un nouveau riche. Mais appeler « réveil » cet effet hypnotique relève de l’antiphrase !
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* Dans un article du 20 avril 2000, LSA attribuait le « réveil de la belle endormie » au moins en partie à son dynamisme commercial, notamment à la création de plusieurs hypermarchés Leclerc par Michel Payraudeau et Robert Fourage.

2 commentaires:

  1. votre lucidité met en perspective les rodomontades que les hiérarques locaux instillent dans les médias. Ce décryptage salutaire éclaire le contexte local et contribue à déniaiser les béotiens, heureuses (ou innocentes) victimes du consensus mou et du marketing territorial.

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  2. Merci. En me documentant pour cette série d'articles, j'ai moi-même été étonné de voir à quel point le thème de la "belle endormie" était une construction factice. Car on ne se contente pas de dire "Nantes était une belle endormie", opinion qui pourrait se défendre ; pour acquérir une apparence d'objectivité, on dit "Nantes était considérée comme une belle endormie", ce qui est faux.

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