25 novembre 2011

Un tramway nommé farcir

Les bobos ont découvert la gastronomie sur le tard et mettent les bouchées doubles pour rattraper le temps perdu. Après la création d’un service de promotion culinaire au Lieu Unique, Jean-Luc Courcoult veut transformer une rame de tramway en restaurant. Pourquoi un restaurant et pas un bureau de poste, un salon de coiffure, une crémerie ? Royal de Luxe avait été plus audacieux avec Cargo 92 : il avait aménagé une rue entière dans la coque du Melquiadès.

Ce recyclage local d’une idée vieille de près d’un siècle et demi (le premier wagon-restaurant a ouvert en 1868) fait un peu pauvre. S’il veut faire preuve de créativité, Courcoult ferait mieux de transformer un restaurant en tramway.

On se demande aussi quel genre de cuisine on pourrait servir dans un tram. Certes, les bons cuisiniers font des miracles en peu d’espace, mais comme le trajet Beaujoire-François-Mitterrand ne demande pas plus d’une demi-heure, l’établissement serait fatalement dans le registre du fast-food.

C’est encore trop pour les syndicats de la TAN, qui trouvent qu’on manque déjà de rames de tram. Courcoult va devoir servir les plats dans un busway. Si ça ne marche pas, il pourra toujours devenir livreur de pizzas.

24 novembre 2011

Le Carrousel avance, mais la Déferlante est lente

La construction du Carrousel des Mondes marins avance à toute allure, se réjouit unanimement la presse. C’est vrai, DLE est une entreprise sérieuse. MM. et Mmes Christian Chunet, Elton Guembethé, Jean-Pierre Drouaud, Grégory Noël et autres bâtisseurs immortalisés sur les palissades du chantier font du bon travail.

Mais le manège n’est pas tout : où est donc La Déferlante ? Pour l’instant, on n’en voit pas grand chose. Ce bâtiment complémentaire du Carrousel serait-il en retard ? Voilà qui serait fâcheux. Car, Le Voyage à Nantes l’a écrit en toutes lettres dans ses appels d’offres, ces locaux sont « nécessaires à l'exploitation du carrousel ».

Il ne servirait donc à rien d’achever le Carrousel dans les temps si l’indispensable Déferlante n’était pas là pour permettre son exploitation.

23 novembre 2011

Pub Graslin

La municipalité nantaise s’apprête à chasser les automobiles de la place Graslin. Mais elle y introduit la publicité. Sous prétexte de Royal de Luxe, elle accorde le centre de la place à un livre publié par une maison d’édition commerciale. Au tarif des panneaux d’affichage dans l’avant-Noël, l’emplacement peut valoir des milliers d’euros. En cette saison d’impôts locaux, on espère qu’Actes Sud aura versé son écot au budget de la ville de Nantes.

17 novembre 2011

Mémorial au Mémorial

Le Massachusetts Institute of Technology (MIT) est l’une des universités les plus prestigieuses du monde. Krzysztof Wodiczko, concepteur du Mémorial à l’abolition de l’esclavage, y est professeur « émérite » au sein du département d'arts graphiques.

Le trombinoscope de l’université détaille son œuvre, laquelle comprend un « Memorial to the Abolition of Slavery, Nantes France, […] to be opened in 2009 ». Un Mémorial qui ouvrira en 2009… Qui osera leur expliquer la réalité de la situation ?

16 novembre 2011

Cycliste à Nantes : (3) Les aventuriers de l’Arche-sèche, le retour

On a vu hier comment se présente la rue de l’Arche-sèche depuis la place du Cirque. Qu’en est-il dans l’autre sens, depuis la place Royale ? La signalisation est claire : elle est interdite à tout véhicule sans exception. Vous pensiez que la circulation des cyclistes à contresens était autorisée, comme indiqué à l’entrée de la rue place du Cirque ? Vous aviez tort.

Du moins, vous aviez tort pendant cinquante mètres. Avant de passer sous la rue de Feltre, la rue de l’Arche-sèche devient tout à coup autorisée aux cyclistes, comme on le voit ci-dessous sous le panneau de sens interdit. On ne sait d’où viennent lesdits cyclistes, puisqu’aucune voie de circulation ne leur permet d'arriver là. Ce sont sans doute des piétons qui tenaient leur vélo à la main. On peut toujours rêver.

Au sol, un unique marquage paraît mis là pour amorcer le mouvement. Quelques mètres plus loin, sous le pont, la voie se resserre. Croiser une automobile devient risqué. Mais pas de piste cyclable, plus rien qui protège l’audacieux. Il lui faut vivre dangereusement pendant vingt mètres. S’il parvient au pied du marché de Feltre, il est sauvé : la rue s’élargit, et maintenant qu’elle est moins indispensable, une piste cyclable apparaît. Du moins jusqu’au prochain rétrécissement, sous la rue des Deux-ponts.

15 novembre 2011

Cycliste à Nantes : (2) Les aventuriers de l’Arche-sèche

Au volant de votre automobile, vous quittez le cours des 50 otages place du Cirque pour emprunter la rue de l’Arche-sèche. Vous franchissez les rails du tramway après vous être assuré qu’aucune rame n’approchait, vous veillez à la priorité des véhicules sortant du parking Bretagne sur votre droite et vous surveillez les piétons qui traversent en tous sens cet espace au statut incertain.

Vous avez 3 secondes pour repérer l’information qui pourrait sauver la vie à l’un de vos concitoyens. Vite !

Dans un paysage aussi complexe, il faut un œil d'aigle pour noter que la circulation des cyclistes à contresens est autorisée. Et comme la rue est en courbe vers la gauche, si vous n’avez pas vu le petit panneau, pourquoi verriez-vous davantage le cycliste qui arrive face à vous, fort de son bon droit ?

11 novembre 2011

Blaise et le jargon

Jean Blaise vient de publier chez Lulu.com une nouvelle édition de son Dictionnaire du jargon d’entreprise, jargon qu’il qualifie de « discours de tartuffe par excellence que le ridicule ne tue pas ».

Vous voulez dire des expressions du genre « politique culturelle exemplaire », « concrétiser la destination », « atouts-phares d’attractivité » et autres « levier de développement » ?

Mais non, voyons, ça c’est du jargon touristico-municipal. Il ne faut pas confondre ! De même qu’il ne faut pas confondre les Jean Blaise : celui du dictionnaire est un jeune cadre qui n’a rien à voir avec celui à qui vous avez peut-être pensé.

10 novembre 2011

Le Mémorial de l’esclavage, victime de l’amateurisme ou d’une malédiction vaudoue ?

D’accord, c’est tirer sur une ambulance. Mais quand même, le feuilleton du Mémorial à l’abolition de l’esclavage devient grotesque. Hier matin encore, sur les sites web officiels de Nantes Métropole, de Nantes Tourisme et de la mairie de Nantes, l’inauguration en grande pompe du monument était annoncée pour le 1er décembre.

Ce n’était déjà pas brillant, comme le montre le calendrier ci-dessous. Mais voici que tout à coup, trois semaines pile avant la date bruyamment claironnée, on arrête tout !

Les lames de verre qui formaient le cœur du projet sont, paraît-il, inutilisables. Leur réalisation, pour la bagatelle de 1.141.490 euros hors taxes, soit 24.815 euros par lame, avait été confiée à une entreprise italienne, qui apparemment l'avait sous-traitée auprès d’une entreprise espagnole, laquelle aurait gâché le travail.

La mise à jour du calendrier du mémorial publiée ici le 17 mai n’est plus valable. En voici donc une nouvelle :
  • 1998 : Le conseil municipal de Nantes décide d'ériger un monument à l'abolition de l'esclavage.
  • 2000 : Un comité de pilotage rédige un cahier des charges et présélectionne des artistes.
  • 2003 : Le projet de Krzysztof Wodiczko est retenu par le conseil municipal.
  • 2004 : Wodiczko vient à Nantes régler les détails du projet qui doit être achevé fin 2006.
  • 2005 : Nantes Métropole adopte le programme de réalisation.
  • 2006 : Lancement d'appels d'offres (BOAMP du 8 juillet).
  • 2007 : Rien n'est encore fait, mais Nantes Métropole vote une augmentation du budget (conseil du 9 mars).
  • 2008 : Rien n'est encore fait, mais Nantes Métropole demande une réduction du budget. Appel d'offres infructueux.
  • 2009 : Lancement d’un nouvel avis de marché (BOAMP du 11 mars 2009).
  • 2010 : Début du chantier en février, pose de la première pierre le 10 mai pour ouverture à l’été 2011 (l’avis de marché prévoyait 18 mois de travaux à compte de la date d’attribution, le 8 janvier 2010).
  • 2011 : L’inauguration est repoussée au 21 octobre, au cours de la Convention nationale des avocats organisée à Nantes. Suite à un « retard technique » [sic], l’inauguration du monument est à nouveau repoussée au 1er décembre. Suite à des « malfaçons » elle est repoussée à une date indéterminée.
  • 2012 : Tous les espoirs sont permis.

Poisson d’Avril et Fiteau !

On a commencé à rénover la maison Avril et Fiteau, à côté du nouveau palais de justice. L’achèvement des travaux est prévu pour la mi-2012. Il était temps. Son propriétaire, Promogim, avait annoncé en 2008 qu’elle serait prochainement « rénovée et remise en état ».

La Société d’aménagement de la métropole Ouest-Atlantique (Samoa), pour sa part, avait promis une complète réhabilitation en 2010. Apparemment, elle n’a pas mis le retard à profit pour se documenter sérieusement sur ce logement de fonction du directeur d’une usine chimique voisine. « C'est une maison de style Directoire, bâtiment en structure de bois à surélévation centrale au niveau du faîtage, et une cheminée en briques cerclée d'anneaux de fer », lit-on encore sur son site consacré à l’île de Nantes.

Sur la version en anglais du site, c’est même toute la maison qui est en bois (« made of wood »), à en croire la Samoa.

09 novembre 2011

IDEX : le boulet ligérien

Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a publié lundi la liste des cinq projets repêchés dans le cadre de l’appel d’offres « Initiatives d’excellence » (Idex). Une opération qui doit aboutir à distribuer 7,7 milliards d’euros à quelques « pôles pluridisciplinaires d'excellence d'enseignement supérieur et de recherche de rang mondial » (ouf !).

Au premier tour, avaient déjà été retenus des projets de Grenoble, Lyon-Saint-Étienne, Toulouse et Paris. Au second, les élus sont localisés à Paris (trois projets), à Aix-Marseille et en Lorraine. Tout l’Ouest de la France est donc ignoré, et la Bretagne en particulier.

« Il semble que les projets retenus se concentrent sur une grande ville », note Guy Cathelineau, président de Rennes I, cité par Gaspard Norrito dans Ouest France. Ce n’était pas le choix des régions Bretagne et Pays de la Loire. Elles avaient tenté d’assembler un projet commun réunissant leurs deux pôles de recherche et d’enseignement supérieur, UEB et L’UNAM, un animal étrange étalé sur plus de 300 km entre Brest et Le Mans.

Les projets non retenus seront informés avant le 15 novembre des raisons de leur échec. Les porteurs du projet ligéro-breton oseront-ils les exposer publiquement ? Les paris sont ouverts. Quatre critères principaux devaient présider au choix du jury :
  • Excellence en matière de recherche ;
  • Excellence en matière de formation et capacité à innover ;
  • Intensité des partenariats avec l'environnement socio-économique et au niveau international ;
  • Capacité de la gouvernance à mettre en œuvre efficacement la stratégie du projet : objectifs et trajectoire, politique des ressources humaines, allocation des moyens. 
 Les universités de Nantes, de Rennes et de Brest n’ont rien à se reprocher, au moins concernant les deux premiers critères. Ce qui pèche, c’est clairement le quatrième. Même la région des Pays de la Loire s'en est aperçue. « La gouvernance du projet est en train d'être repensée », reconnaissait-elle après le premier essai infructueux, début 2011. « Dans le projet initial, les deux PRES L’UNAM et UEB […] devaient assurer le pilotage. La nouvelle version devrait être plus ramassée pour plus d'équilibre et de réactivité. »

En clair : L’UNAM a plombé le projet. La région des Pays de la Loire est un handicap pour toute la Bretagne et pas seulement pour Nantes.

Extermine les brigands jusqu’au dernier

Reynald Secher présentait hier au Bretagne son dernier livre, Vendée, du génocide au mémoricide (éditions du Cerf). Il a expliqué pourquoi, à son avis, les événements de 1794 en Vendée étaient un génocide au sens du droit international, et comment la République, qui n’en était sans doute pas trop fière, avait ensuite tenté de camoufler les faits – ce qu’il appelle le « mémoricide ».

Les documents d’époque dénichés par l’historien aux Archives nationales et reproduits dans son livre sont accablants. Parmi eux figure une lettre du 18 pluviose an II (6 février 1794) adressée par Lazare Carnot au général Turreau, concepteur des « colonnes infernales ». Au nom du Comité de salut public, Carnot y valide le plan du général et précise : « Extermine les brigands jusqu’au dernier, voilà ton devoir ».

L’avenue Carnot est l’une des plus importantes de Nantes. Quoi ? À une époque si prompte aux repentances, on honorerait, sur les lieux mêmes, un homme qui a couvert des massacres massifs de civils ? Qu’on se rassure : cette avenue Carnot-là honore le président de la république Sadi Carnot, assassiné en 1894. C’était le petit-fils de Lazare Carnot, mais on n’est pas responsable des crimes de ses ancêtres, n’est-ce pas ?

Il y a bien eu jadis une rue Carnot du côté de Saint-Donatien. Elle a disparu depuis longtemps. Il est vrai que Carnot n’avait que faire de cet honneur : son corps repose au Panthéon depuis 1889. Merci grand-père !

08 novembre 2011

Nantes, la belle endormie ? (5) Une anesthésie qui laisse des traces

Dans toute bonne école de com’, on enseigne que les messages négatifs sont périlleux. Si l’on dit « Nantes n’est plus une belle endormie », certains comprendront inévitablement que Nantes est une belle endormie. Ça n’a pas loupé. Voici quelques exemples récents :
  •  « Nantes, surnommée la Belle endormie, est une très belle ville à visiter sans modération » -- Sixt (loueur de voiture), communiqué du 19 août 2011.  
  • « L'image de Nantes 'la belle endormie', en prend un gros coup » -- Hugues Frioux, président d’une association de commerçants nantais, à propos du meurtre de Laëtitia Perrais, dans Le Journal des entreprises, 4 avril 2011.  
  • « Nantes, la belle endormie qui rève d'une gare moderne, comme celle de Rennes (10 ans après) » -- un participant au forum du Web des cheminots, 19 octobre 2010. 
  • « Et ça a commencé par un premier retour dans ma ville de cœur, Nantes, belle endormie, Venise de l’Ouest » -- Yllwngg, auteur du Da Yllwngg Blog, 30 mai 2011.  
  • « Toutes saisons confondues 'La belle endormie' fourmille, essaime et récolte son nectar artistique à point nommé » -- Idîle, magazine de Nantes et sa région, 12 octobre 2011.  
  • « Pour The Cash Stevens, l’opportunité de jouer a changé et ils sont conscients de la baisse de représentation qu’il peut y avoir aujourd’hui quand il y a 20 ans on pouvait encore jouer à loisir dans les bars de Nantes. Nantes qu’ils appellent ‘La belle endormie’. » -- Media-web, site web d’informations régionales, 30 août 2011.  
  • « Régine Vix vit à Nantes dans cette ville dite la belle endormie aux contrastes et lumières tous les jours renouvelés. » -- Zee-art, site web de critique artistique, 4 novembre 2011.
« La belle endormie » figure aussi, au présent, à propos de Nantes dans des sources d’informations plus générales comme la « Liste de périphrases » du site web Écholalie ou la « Liste de périphrases désignant des villes » de Wikipédia.

Ainsi, la ville est plus souvent considérée comme assoupie aujourd'hui qu'à l'époque mythique où l'on dit qu'elle l'a été ! Ceux qui ont lancé la fable de la belle endormie ont finalement causé du tort à l'image de Nantes.

07 novembre 2011

Nantes, la belle endormie ? (4) Il faut que je me rappelle bien que j’ai dormi

Le narrateur de La Recherche du temps perdu a une vieille tante qui prétend ne jamais dormir. Mais de la chambre voisine, il l’entend dire au réveil : « Il faut que je me rappelle bien que je n’ai pas dormi ». Nantes, au contraire, doit se rappeler qu’elle est supposée avoir dormi. « La belle endormie » est un thème récurrent dans la communication de Jean-Marc Ayrault.

« Lorsqu'on parle de Nantes, on ne dit plus la belle endormie », affirmait le maire de Nantes au cours de la campagne municipale de 1995, selon Les Échos du 18 mai 1995.  On dirait que l’image est restée calée dans son rétroviseur. « Comme un premier de la classe fier d'exhiber sa copie impeccable, Jean-Marc Ayrault, 58 ans, aime à rappeler que, il y a vingt ans, Nantes était surnommée 'la belle endormie' », écrivait à son tour Le Journal du dimanche en 2008. « Il y a vingt ans, avec la fermeture des chantiers navals, Nantes était une ‘belle endormie’ » proclamait-il lui-même devant la World Investment Conference en 2009.

Les subordonnés et les thuriféraires du maire ont embouché jusqu'à nos jours la même trompette passéiste. Comme signalé ici, Le Voyage à Nantes vient de faire diffuser un communiqué intitulé « Nantes, de la Belle endormie à la Belle éveillée ». On peut toujours lire sur le site web de Nantes Métropole une déclaration de la majorité communautaire qui sacrifie au cliché.

Deux livres ont même consacré celui-ci : Nantes. De la belle endormie au nouvel Eden de l'Ouest(1) et un récent opus intitulé Nantes, la belle éveillée(2), mais dont le prière d’insérer annonçait : « De l’image de 'la Belle endormie' qui lui collait à la peau dans les années 1980, Nantes a, de l'avis de tous aujourd'hui, des allures de 'Belle éveillée' ». Largement reprise dans la presse et sur le web malgré sa syntaxe lamentable, cette phrase a ravivé la fable de la Belle endormie. Elle est pourtant inexacte puisque l'image « rétroactive » de la belle endormie ne date que des années 1990.
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(1) Isabelle Garat, Patrick Pottier, Thierry Guineberteau, Valérie Jousseaume, François Madoré, Nantes. De la belle endormie au nouvel Eden de l'Ouest, Anthropos, 2005.
(2) Dominique Sagot-Duvauroux, Gérôme Guibert, Magali Grandet, Stéphane Pajot, Nantes, la belle éveillée, Éditions de l’Attribut, 2010.

05 novembre 2011

Nantes, la belle endormie ? (3) De la belle assommée à la belle hypnotisée

« Nantes, la belle endormie », on l’a vu hier, est une invention ex post facto. Décrit-elle néanmoins une réalité d’avant 1989 ?

La période n’était pas rose pour l’économie et le monde du travail nantais. Les chantiers navals, l’une des principales industries de référence locales depuis des siècles, avaient fermé en 1987. La biscuiterie et la conserverie cédaient du terrain. La BN avait quitté la ville et LU n’allait pas tarder à suivre, Amieux avait disparu, Cassegrain était croqué par Bonduelle… La ville était un peu groggy – pas endormie, plutôt assommée.

L’université de Nantes, en revanche, était en plein essor. Ses effectifs étudiants avaient presque doublé en une dizaine d’années. Les divertissement offerts étaient en retard sur cet afflux démographique. Les étudiants, qui de tout temps ont reproché leur tranquillité aux villes de province, n’avaient pas d’exutoire suffisant à leur vitalité. Quand on vit la nuit, le monde alentour paraît assoupi.

L’expansion universitaire avait aussi multiplié les « nouveaux instruits », comme il y a des nouveaux riches, souvent coupés de leurs racines culturelles populaires mais incapables d’accéder proprio motu à une culture élitiste pratiquée dans le secret des salons. Une fois leurs études terminées, ils pouvaient ressentir un certain engourdissement.

Avec le temps, l’économie nantaise allait se trouver de nouvelles lignes de force (l’une d’elles étant la ligne de TGV)*, l’offre de divertissement allait s’adapter à la demande étudiante, les plus toniques des nouveaux instruits allaient accéder à une culture autonome. La municipalité Ayrault n’y était pour rien. Peut-être n'était-elle même pas la mieux placée pour favoriser la revitalisation de l’économie, le jeu du marché et les pratiques culturelles individuelles. Elle a bénéficié après 1989 d’un mouvement dont elle n’a pas été le moteur.

Cependant, avec de grandes opérations événementielles comme les Allumées, elle a aussi apporté quelque chose de nouveau dans la ville, une culture « bling bling » qui fascine les nouveaux instruits comme une Rolex un nouveau riche. Mais appeler « réveil » cet effet hypnotique relève de l’antiphrase !
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* Dans un article du 20 avril 2000, LSA attribuait le « réveil de la belle endormie » au moins en partie à son dynamisme commercial, notamment à la création de plusieurs hypermarchés Leclerc par Michel Payraudeau et Robert Fourage.

04 novembre 2011

Nantes, la belle endormie ? (2) Chronologie d’une nuit blanche

Nantes, donc, aurait été une belle endormie. Depuis quand ?

Sans pousser très loin les recherches dans la littérature, on trouve qualifiées de « belle endormie » Bordeaux en 1969, Aix-en-Provence en 1981, Marseille en 1982, Hyères en 1891 ou Riom en 1890(1). On serait bien en peine de remonter aussi loin pour Nantes.

« La belle endormie se retrouve libérée le 12 août 1944 », titrait un jour Ouest France. Mais c’était en 2006 ! Même carambolage chronologique voici quelques semaines dans le dossier de presse d’Urban Textiles. « André Breton se laissait surprendre par la beauté de ‘La Belle Endormie' dans son ouvrage Nadja », y assure Albert Magister, directeur artistique de l’exposition photographique. On aura beau lire et relire le livre, paru en 1928, l’expression n’y figure pas.

En réalité, la presse n’a commencé à utiliser le cliché de la « belle endormie » à propos de Nantes que dans les années 1990. Le credo de Jean-Marc Ayrault est de « réveiller Nantes, ‘la belle endormie’ » assurait L’Express en octobre 1992, à côté d’un encadré intitulé « Comment faire parler d’une ‘Belle endormie’ ? » (réponse : en multipliant les spectacles). Le réveil n’était donc pas opéré à l’époque.

En 2004, en revanche, Le Point écrivait que « La grande ville industrieuse et marchande du début du siècle,[…] qui s'était doucement assoupie au fil des ans, laissant filer son activité économique vers l'aval du fleuve, s'est peu à peu réveillée. » Ce que confirmait Ouest France en titrant, le 4 août 2007 : « Nantes n’est plus la belle endormie ». La même année, pourtant, dans le n° 2 de Place publique, référence forcément sérieuse puisque subventionnée par Nantes Métropole, le géographe Jean Renard fixait la « date reconnue du réveil de 'la belle endormie' » à… 1977.

Le thème de la belle endormie, on l’a noté, est régulièrement brandi par les oppositions municipales contre les équipes en place. Dans le cas de Nantes, il n’a été utilisé que rétroactivement. On n'a fait de Nantes une belle endormie que pour prétendre l'avoir réveillée !
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 (1) Jean Claude Guillebaud et Pierre Veilletet, Chaban-Delmas ou l'Art d'être heureux en politique, B. Grasset, 1969 ; Franck Baille, Les petits maîtres d'Aix à la Belle Epoque, P. Roubaud 1981 ; Jean-Marie Homet, Astronomie et astronomes en Provence, 1680-1730, Édisud, 1982 ; Stephen Liégeard, La Côte d’Azur, Librairies-imprimeries réunies, 1891 ; Mémoires de l'Académie des sciences, belles-lettres et arts de Clermont-Ferrand, 1890.