26 mai 2011

Royal de Luxe (3) : assez d’eau de rose !

Comme le jeu scénique des acteurs est limité, on l’a dit hier, les scénarios des spectacles de géants de Royal de Luxe le sont aussi. L'essentiel est relégué dans un passé qu'on ne verra jamais. On pourrait en produire à la chaîne sur un coin de nappe en papier : « Alors, la petite géante part à la recherche de son frère jumeau dont elle a été séparée à la naissance, le moustachu redescend des montagnes où il se cachait depuis des siècles pour échapper à la vengeance de la sorcière, le beau-frère revient d’un long exil sur une île déserte où son bateau négrier armé à Nantes avait fait naufrage », etc.

Et si l’on a du mal à rabouter les scènes, inutile de trop se casser la tête, il suffit de faire intervenir un deus ex machina ; c’est fou tout ce qui tombe du ciel dans ces spectacles. L’intervention divine, ou celle des extra-terrestres, coupe court à tout besoin d’explication.

Mais quand donc Royal de Luxe se décidera-t-il à quitter le registre du Père Castor pour nous servir des histoires moins convenues ? Et pourquoi pas un peu sulfureuses ? Les mouvements sommaires des géants (de haut en bas, d’avant en arrière…) permettraient déjà toutes sortes de licences. Or Jean-Luc Courcoult n’a rien montré de pire que la sucette de la petite géante : une grande sucette, une très petite audace. (« J'eusse aimé voir son corps fleurir avec son âme / Et grandir librement dans ses terribles jeux » !)

On réclame des scénarios qui font peur et qui scandalisent, un géant affamé de la chair fraîche des Nantais-Nantaises, de l’effroyable de luxe et du royal de luxure. Ce serait d’ailleurs conforme à la véritable origine du personnage. Car voici d’où vient en réalité le géant, selon le récit de Robert Walton rapporté par Mary Shelley.

Le 31 juillet 17xx, Robert Walton se trouve à bord d’un vaisseau qui vogue vers le pôle Nord. Longeant une banquise hostile, son équipage et lui ont la vision fugace d'un traîneau qui file sur la glace. « Une silhouette de forme humaine, de toute apparence de stature gigantesque, était assise dans le traîneau et guidait les chiens », écrit-il. On aura noté la silhouette de stature gigantesque.

Le lendemain, écrit toujours Walton, « un traîneau semblable à celui que nous avions vu avait dérivé vers nous pendant la nuit, sur un énorme morceau de glace. Un seul chien était encore vivant. Mais il y avait aussi un homme auquel les matelots s’adressaient pour qu’il monte à bord. ». Un chien apparu pendant la nuit sur un énorme morceau de glace : c’est évidemment El Xolo. Et ce naufragé qui montera finalement à bord, c’est Victor Frankenstein.

Il ne fait aucun doute que le géant est cette silhouette de stature gigantesque aperçue à travers les brumes arctiques. Ou si ce n'est lui, c'est donc son frère, ou bien quelqu'un des siens. Et voilà pourquoi il y a un tel air de famille* entre la créature de Frankenstein et celle de Courcoult.



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* On notera le menton proéminent, les pommettes saillantes, le front large et bombé vers le haut, les yeux cernés, l'arcade sourcillaire marquée, les lèvres aux commissures tombantes, et bien sûr la cicatrice sur le front.

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