27 janvier 2009

Le commissariat a mangé le mauvais parking

D’aucuns ont qualifié de « stalinienne » l’architecture du nouveau commissariat central de Nantes. C’est injuste pour l’architecture stalinienne, dont le côté solennel et spectaculaire était destiné à montrer que la dictature du prolétariat avait remplacé celle des tsars. Le nouveau commissariat est seulement raide, terne et quelconque – davantage policier en civil que tenue de cérémonie. Quelle mouche a donc piqué les édiles nantais ? Pourquoi avoir consacré un emplacement aussi privilégié, avec une vue dominante sur l’Erdre, à un immeuble aussi insignifiant ? Sans doute fallait-il un nouveau commissariat. L’ancien était vétuste et inconfortable (ce qui pouvait avoir un avantage si cela incitait les policiers à aller sur le terrain plutôt qu’à rester au bureau). Mais pourquoi l’avoir construit sur la place Waldeck-Rousseau ? C’est un gaspillage d’espace public, la dilapidation d’une belle vue sur Erdre – car bien entendu, pendant les 30 ou 35 heures par semaine qu’il passe au bureau, le personnel du commissariat a autre chose à faire que de profiter de la vue.

La ville de Nantes n’est pas seule à avoir fait ce choix lamentable, d’ailleurs. Un peu en aval, le département construit lui aussi un vaste immeuble de bureau sur l’un des sites les plus enviables de Nantes. Comme si le bâtiment de la trésorerie générale, quai de Versailles, n’avait pas suffisamment démontré le caractère stérilisant des bureaux administratifs : sauf à l’heure du pique-nique sur les quais de l’Erdre, soit quelques heures par semaine en période de beau temps, ce gros bloc lugubre fige un site qui aurait dû être l’un des plus chaleureux, l’un des plus animés de Nantes. Le département est un indécrottable récidiviste. Du jour où il lui a fallu bâtir des locaux distincts de ceux de la préfecture, il est parti sur la mauvaise voie. Il était à droite à l’époque – mais il est vrai que la droite d’alors avait abdiqué son destin entre les mains d’un apparatchik suprême, un hyperactif caractériel et dictatorial qu’il ne faisait pas bon contrarier. Presque tous tremblaient devant ses oukases, et les autres avaient tort, car le principal talent du personnage résidait dans sa capacité de nuisance, qu’il utilisait semble-t-il avec plus de délectation contre son propre camp que contre celui d’en face. Il a construit des bureaux et détruit la droite locale pour au moins une génération : elle ne s’en est pas encore relevée.

Pour en revenir au nouveau commissariat, rappelons que le nouveau bâtiment n’a pas été reconstruit sur l’ancien. Son emplacement a été entièrement pris sur la place Waldeck-Rousseau, précédemment occupée par un parking. La mairie de Nantes adore supprimer des stationnements. Pourtant, si vraiment on tenait à construire le commissariat sur un parking, on disposait à proximité immédiate d’un espace encore plus vaste : l’immense parking du centre Cambronne, jadis ouvert au public, puis réservé aux fonctionnaires, d’abord sous prétexte de plan Vigipirate et ensuite par simple fait du prince. Ce parking de plus d'un hectare est notoirement sous-utilisé puisqu’il ne sert que quelques heures par jour, cinq jours par semaine – alors que celui de la place Waldeck-Rousseau était occupé à près de 100 % en permanence. Surtout, c’est un pousse-au-crime écologique : il incite les fonctionnaires des impôts à aller au travail en voiture au lieu de prendre le tramway tout proche. À une époque où la municipalité nantaise ne parle que de densifier l’espace urbain, ce parking-là n’a vraiment aucune raison d’être. On se demande bien pourquoi elle l’aurait sanctuarisé…

04 janvier 2009

Estuaire 2007/2009 : zéro plus deux ?

On n’échappera pas à Estuaire 2009. Peut-on en espérer autant de rigolade qu’avec Estuaire 2007, son canard crevé et sa maison coulée ? Sans doute pas. Jean Blaise, qui aura 60 ans en 2011 et ne veut sûrement pas partir en retraite sur un échec, sait que la troisième biennale ne pourra décemment avoir lieu que si la deuxième n’est pas un nouveau naufrage.

Mais il ne suffira pas que les œuvres tiennent l'eau. Les chiffres d’Estuaire 2009 seront aussi surveillés de près. Les organisateurs ont compté un total de 764 125 visiteurs en 2007. Un succès, disent-ils, puisqu’ils avaient annoncé un objectif de 500 000. Ce qui était vraiment modeste : avec un budget de 7,3 millions d’euros, chaque visiteur aurait coûté 14,60 euros. Comme quoi, Estuaire, c’est vraiment somptuaire !

Cependant, si l'on y regarde de plus près, ce bilan se dégonfle comme le canard jaune. Les 764 125 visiteurs allégués contiennent beaucoup de doubles comptages et de récupération. On y trouve par exemple 150 000 promeneurs sur le quai des Antilles, qui y seraient venus de toute façon, dont 61 814 sont comptés une seconde fois comme visiteurs de l’exposition Rouge Baiser. Autre exemple : pour le Musée des Beaux-arts, il n’aurait fallu compter comme visiteurs de l’exposition Anish Kapoor que le supplément de visiteurs par rapport à une période normale, sachant que le Musée accueille, bon an mal an, 100 000 personnes par an, soit plus de 8 300 par mois en moyenne... Or, pendant ces quatre mois, le musée a reçu 31 115 visiteurs, soit moins de 7 800 par mois en moyenne… Pas sûr, finalement, qu’Estuaire ait attiré ne serait-ce que 500 000 vrais visiteurs. Et franchement, qui aurait été prêt à payer 14,60 euros pour visiter la chambre de la place Royale, ou d’ailleurs n’importe laquelle des attractions de la Biennale ?

Et il n’y a pas que le quantitatif ! Bien sûr, la déclaration d’amour du président de la région à Estuaire 2007 tenait du pavé de l’ours, mais on ne résiste pas au plaisir de reproduire cette prose adipeuse :

« L’impératif républicain d’un peuple éclairé qui puisse accéder en toute égalité aux œuvres de l’esprit est l’objectif poursuivi par les partenaires de cette opération de rayonnement international. » (http://www.estuaire.info/html/edito_paysdelaloire.html)

Comme souvent, M. Auxiette n’avait pas très bien compris le film. En fait de rayonnement international, Estuaire a obtenu quelques retombées de presse dans des journaux étrangers mais n’a pratiquement pas attiré de visiteurs étrangers.

Les non-régionaux n'étaient que quelques centaines parmi les 45 000 participants à la croisière sur la Loire. Parmi eux, les étrangers n’étaient qu’une poignée. Tout professionnel du tourisme le sait : Estuaire n'a attiré aucune fréquentation touristique particulière à Nantes. Les touristes étrangers ont d'ailleurs été 14 % plus nombreux à Nantes en 2008, année sans Estuaire.

L’attrait international d’Estuaire est minuscule. On en a la confirmation avec le très intéressant outil qu’est Google Trends. Il révèle un bref pic des recherches effectuées avec Google sur l'expression « Estuaire 2007 » en juin 2007, suivi d’une chute très rapide. Ces recherches provenaient exclusivement de France – et presque exclusivement de Nantes. Avant la fin de l’été, elles étaient devenues trop peu nombreuses pour figurer dans les statistiques de Google (au 4 janvier 2009, c’est aussi le cas des recherches sur « Estuaire 2009 »).

Ce manque d’impact n’est pas étonnant. En réalité, hormis Anish Kapoor*, les artistes exposés étaient loin d’avoir la notoriété internationale annoncée. Là encore, Google Trends est un révélateur impitoyable. Les recherches sur Daniel Buren viennent dans leur immense majorité de France ; curieusement, elles ont été nulles pendant la durée d’Estuaire 2007 ! Les recherches sur Erwin Wurm viennent essentiellement d’Autriche, un peu de Suisse, d’Allemagne et de… Nantes, qui fait de grands efforts pour donner de la visibilité à cet artiste anecdotique ! Tadashi Kawamata, Kinya Maruyama, Tatzu Nishi ou Yan Pei-Ming n’apparaissent même pas sur les graphiques de Google Trends.

M. Blaise est sûrement conscient de ces faiblesses. Saura-t-il mieux utiliser en 2009 le copieux budget confié par les collectivités locales ?


* À propos d’Anish Kapoor, on peut se demander s’il n’a pas préféré réserver au Centre Pompidou, référence d'un autre calibre sans doute, l’œuvre initialement promise à Nantes. « L’œuvre montrée au Musée ne sera pas sans rappeler La Mer de glace, sublime paysage de neige du peintre romantique allemand Caspar David Friedrich », annonçait pompeusement la convention de mécénat (30 000 €) signée entre la ville de Nantes et Gaz de France (http://www.nantes.fr/Sgid/DataSgid/themes/conmun/CM02022007/CM02022007-24-convention%20.pdf). Qui aurait pu voir dans l’installation d’Anish Kapoor au musée des Beaux-arts de Nantes la moindre parenté avec l’œuvre de Friedrich ? En revanche, les deux artistes voisinaient dans l’exposition « Traces du sacré » organisée en 2008 au Centre Pompidou.